L'épidémie de fusillades dans les universités et les écoles est devenue «un phénomène mondial» qui nécessite d'investir davantage dans l'éducation et le suivi des étudiants, affirme Lucinda Roy, professeur à l'université américaine de Virginia Tech.

Dans cette université, le 16 avril 2007, un étudiant sud-coréen de 23 ans, a tué 32 étudiants et professeurs avant de se donner la mort, faisant de cette tragédie la plus sanglante fusillade dans une université aux Etats-Unis. Auteur d'un livre paru ce mois-ci, «No right to remain silent» («Pas le droit de garder le silence»), Lucinda Roy, professeur d'anglais, est une des rares enseignantes à avoir remarqué les tourments de Cho Seung-Hui.

Elle l'avait signalé aux services psychologiques de l'université, qui faute de personnel et à cause de strictes règles de confidentialité, n'ont pas su mesurer le danger.

«Nous ne savons pas répondre à ces étudiants qui ont des problèmes psychologiques, ici comme à l'étranger. Nous n'avons pas le personnel pour les conseillers», dit ce professeur qui note que sur son campus, à l'époque de la fusillade, il y avait un conseiller psychologique pour 2.700 étudiants.

«Ces fusillades sont devenues un phénomène mondial. C'est tout de suite pire aux Etats-Unis parce que l'accès aux armes y est si facile. Mais la Finlande, l'Allemagne ont eu des attaques», souligne-t-elle.

«Le système éducatif peut être tellement impersonnel, surtout au niveau universitaire. Des étudiants passent ces années en étant pratiquement invisibles, sans que jamais on ne leur demande leur nom ou ne leur pose une question», ajoute-t-elle.

C'est dans le contexte d'un atelier d'écriture créative qu'elle a remarqué l'immense colère rentrée chez cet étudiant solitaire et muet. Un poème de sa main, déclamé à haute voix, accusait ses collègues d'être des cannibales ne méritant pas de vivre. Lorsqu'elle l'a convoqué pour évaluer le sens de ces lignes, «il est arrivé dans le bureau avec des lunettes noires et mettait 10 à 20 secondes pour répondre en murmurant».

«Ce qui m'a inquiétée, c'est qu'après cet entretien il m'a envoyé des courriels incendiaires contrastant avec son attitude», se souvient-elle.

Au cours de ses recherches dans le cadre de l'écriture de son livre, l'enseignante dit avoir découvert «sur internet tant de jeunes, d'Europe comme des Etats-Unis, affirmant rêver de dépasser le bilan meurtrier de Cho».

Elle dénonce aussi la littérature, notamment sur internet, qui tend à glorifier ce type de tueurs en racontant par le menu les préparatifs, les manifestes et mêmes les dialogues reconstitués de leurs tueries.

«Il faut comprendre que ces tueurs cherchent la renommée avant tout. Ils veulent réaliser une performance la plus horrible possible, la plus sanglante, la plus effrayante», s'alarme-t-elle.

D'autant que l'accès aux armes les plus meurtrières demeure un droit vigoureusement défendu, particulièrement «en Virginie, où le lobby des armes à feu, la NRA, est très influent».

Paradoxalement, la tragédie de Virginia Tech a suscité sur le campus la formation d'une minorité «très active, qui parle haut et fort», militant pour que chaque étudiant puisse porter une arme. Certaines universités, comme dans l'Utah (ouest), autorisent déjà le port d'armes sur les campus.

Le corps enseignant est très inquiet, convient-elle: «Si vous leur mettez un F (la note la plus basse dans le système américain), ils sont en colère et l'idée qu'ils soient armés nous rend vraiment nerveux».