S'il ne travaille pas aujourd'hui, Antonio Martinez mangera un seul repas.

Un taco au poulet, peut-être. Ou des tranches de pain blanc avec du beurre.

«Sur 70 gars, sans doute 8 ou 10 vont avoir du travail aujourd'hui, explique-t-il, l'air nerveux, en lissant sa moustache blanche. Les autres vont rester sur le trottoir. Il n'y a rien d'autre à faire.»

Pour prendre une dose de réalité sur l'état du capitalisme américain en temps de crise, rien ne vaut une visite dans le stationnement d'un Home Depot de Los Angeles, Hollywood, Phoenix ou San Diego.

 

À chaque jour, des dizaines d'hommes - des adolescents, des vieillards, des pères de famille - passent des heures debout, à attendre, les mains dans les poches. Ils ont deux choses en commun: ils sont latinos et ils veulent travailler.

Dès qu'une camionnette ralentit, les travailleurs s'activent. Ils envoient la main. Ils sifflent. Ils accourent vers le véhicule, les yeux fixés sur la personne qui conduit.

Peut-être qu'un homme a besoin de journaliers pour refaire une clôture? Ou qu'une femme cherche des travailleurs pour faire son terrassement?

Presque à chaque fois, le conducteur passe son chemin. Fausse alerte. La foule redevient calme.

Home Depot a souvent décrié la pratique. Les magasins ont embauché des gardiens de sécurité pour garder les journaliers à l'extérieur du stationnement de l'entreprise. Ceux-ci se tiennent désormais sur le trottoir, à quelques mètres.

Vendredi matin, des dizaines d'hommes attendaient les éventuels clients à l'extérieur du Home Depot du boulevard Jefferson, à Los Angeles.

L'an dernier, il y avait du travail. Plus maintenant.

«Il y a beaucoup trop de journaliers et pas assez de boulot», explique M. Martinez, qui travaillait comme maçon sur des chantiers avant d'être mis à pied, il y a un an.

«Avant, les gens pouvaient embaucher quatre ou cinq gars pour la journée. On pouvait toucher 100$ chacun pour peinturer une maison, ou pour faire un déménagement. Maintenant, les clients vont prendre un ou deux gars, maximum. Et tous les travailleurs mis à pied viennent ici, alors la compétition est féroce.»

Sa famille habite près de Mexico, dit-il, et il est incapable d'envoyer de l'argent depuis des mois. «J'essaie de payer mon loyer et de manger. Des fois, des passants nous apportent du pain ou des fruits. Ça nous aide beaucoup.»

Près de lui, un adolescent qui dit s'appeler Marco attend du boulot, les mains dans les poches de son chandail à capuchon. Il a passé la frontière il y a deux ans, et songe maintenant à retourner au Guatemala.

«Je suis venu parce qu'il y avait du travail. Maintenant, il n'y a plus rien. Je n'ai pas envie de retourner chez moi, mais je vais bientôt devoir vivre dans la rue si je reste aux États-Unis.»

M. Rodriguez hausse les épaules. «Je connais plusieurs gars qui sont rentrés. Je leur donne deux ans, maximum, et ils vont revenir ici. Le coût de la vie est cher au Mexique. Les salaires sont dérisoires. C'est impossible de faire vivre sa famille.»

Un autre travailleur s'interpose. Il porte une chemise d'armée et un écouteur Bluetooth à l'oreille. «Moi, ma famille est ici, et je ne suis plus capable de la faire vivre. Je pars le matin et je reviens les mains vides le soir. Je suis plus capable de mettre de la nourriture sur la table. C'est difficile, et humiliant.»

Un camion approche. Les journaliers le suivent du regard, prêts à sauter d'un bond au moindre signe d'intérêt. Le camion poursuit son chemin.

Les hommes recommencent à faire les cent pas sur le trottoir, en route vers nulle part.