Durant plusieurs décennies, le nom de Bernard Madoff aura été vénéré à Wall Street comme dans plusieurs familles juives de New York et de Palm Beach, qui ont confié leur fortune à ce courtier dont la réputation confinait à la légende.

Âgé de 70 ans, le natif de Queens aura en effet incarné un certain rêve américain. Celui qui a lancé sa carrière grâce aux économies réalisées sur son salaire de sauveteur de plage a révolutionné le monde de la finance électronique. Il a amassé une fortune qui lui a permis d'acquérir des propriétés luxueuses à Manhattan, à Palm Beach et à Paris. Sa réputation d'intégrité était telle que, pendant des années, il a été président du conseil d'administration du NASDAQ, une des deux principales Bourses de New York.

Mais le nom de Bernard Madoff est aujourd'hui synonyme de fraude. Et pas n'importe laquelle. Le self-made man aurait orchestré une gigantesque fraude pyramidale qui aurait coûté 50 milliards de dollars à ses clients, selon le FBI et le bureau du procureur fédéral. Il s'agirait de la plus grande escroquerie de l'histoire de Wall Street.

Bernard Madoff a été arrêté jeudi matin après avoir été dénoncé au FBI par ses deux fils, à qui il avait tout avoué la veille.

«Nous sommes ici pour voir s'il y a une explication», a dit au courtier un des deux agents de la police fédérale qui se sont présentés à son domicile de Manhattan.

«Il n'y en a pas, aurait répondu le courtier, encore vêtu de sa robe de chambre. Cette entreprise n'est qu'un vaste mensonge, une sorte de schéma de Ponzi géant.»

Bernard Madoff faisait allusion à l'un de ses fonds spéculatifs, dont le fonctionnement s'apparentait aux fameux montages «Ponzi», du nom d'un immigré italien à l'origine du premier coup du genre dans les années 20 à Boston : les investisseurs les plus anciens sont rémunérés avec l'argent des plus récents.

Puis survint la crise...

L'entreprise s'est écroulée lorsque les clients de Bernard Madoff, au plus fort de la crise financière à Wall Street, ont multiplié les demandes de retrait, que le courtier a été incapable d'honorer. Selon le FBI et le procureur fédéral, le fondateur de Bernard L. Madoff Investment Securities aurait alors réuni ses proches collaborateurs, dont ses fils et son frère, pour leur annoncer qu'il était «fini, n'avait plus rien et avait perdu environ 50 milliards de dollars».

La nouvelle de l'arrestation du courtier a eu l'effet d'une bombe à Wall Street, qui doit ajouter cette fraude épique à ses malheurs récents. L'affaire a évidemment consterné les clients de Bernard Madoff - des banques, des fonds et de grandes fortunes personnelles, dont celles de Fred Wilpon, propriétaire des Mets de New York, et de son partenaire, Saul Katz, qui auraient perdu 500 millions de dollars, selon le New York Post.

Ezra Merkin, PDG du fournisseur de services financiers GMAC, fait également partie des victimes du courtier new-yorkais, ainsi que Norman Braman, ex-propriétaire des Eagles de Philadelphie, et le Fairfield Greenwich Group, un fonds spéculatif du Connecticut qui a investi à lui seul 7,5 milliards de dollars dans le fonds Madoff. Comme des milliers, voire des dizaines de milliers d'investisseurs, ils avaient été attirés par la garantie de rendements élevés.

Comme l'a dit un avocat new-yorkais au New York Times : «Des gens qui étaient très, très fortunés il y a quelques jours sont aujourd'hui virtuellement indigents. Ils n'ont plus rien que leurs appartements ou leurs maisons - qu'ils devront vendre pour avoir de quoi vivre.»

Découverte tardive

Tout comme ses concurrents, le Times, qui a publié hier plusieurs articles sur cette affaire sensationnelle, soulève au moins deux questions fondamentales : Bernard Madoff a-t-il agi seul? Et pourquoi la fraude n'a-t-elle pas été découverte plus tôt?

Fondée en 1960, la société de Bernard Madoff garantissait un rendement annuel de 10% sur les investissements, même dans les périodes où le marché boursier était à la baisse, ce qui semblait trop beau pour être vrai aux yeux de certains investisseurs.

«Le fonds Madoff est le plus grand schéma de Ponzi au monde», a écrit Harry Markopolos en 1999 dans une lettre adressée à la SEC, la Commission des titres et des échanges, la police de la Bourse de New York.

De toute évidence, la SEC n'a pas donné suite à cette lettre. Et Friehling & Horowitz, l'obscur cabinet chargé d'auditer le fonds Madoff, n'a également rien vu d'anormal dans la gestion et la comptabilité de la société. Est-ce possible? La suite de cette histoire nous réserve sans doute d'autres surprises.