Après avoir causé la surprise en remportant l'investiture de son parti et la présidence des États-Unis, le politicien de l'Illinois communique avec son plus grand rival, la sénatrice de New York, et lui offre le poste de secrétaire d'État.

La première version de ce scénario ne se déroule pas en 2008 mais en 1861. Elle ne met pas en vedette Barack Obama et Hillary Clinton, mais Abraham Lincoln et William Seward.

 

Sa répétition, près d'un siècle et demi plus tard, n'est pas le fruit du hasard.

Depuis le début de sa quête présidentielle, Barack Obama ne se gêne pas pour se comparer à Abraham Lincoln, qui s'est assuré une place parmi les plus grands présidents américains en mettant fin à l'esclavage et en remportant la guerre de Sécession.

«La vie d'un avocat longiligne et dégingandé de Springfield nous dit qu'un avenir différent est possible», avait déclaré Obama en annonçant sa candidature à la Maison-Blanche devant le capitole de son État, où, comme Lincoln, il avait siégé durant huit ans comme législateur.

Livre de chevet

«Elle nous dit qu'il y a du pouvoir dans les mots... Elle nous dit qu'il y a du pouvoir dans l'espoir.»

La présidence d'Abraham Lincoln fournit également des leçons sur la façon de composer un cabinet que Barack Obama a retenues. Après son élection inattendue à la Maison-Blanche, le 16e président fit une place de choix dans son administration à ses trois rivaux pour l'investiture du Parti républicain. Seward, grand favori au début de la course, devint donc secrétaire d'État. Salmon Chase, gouverneur de l'Ohio, hérita du Trésor, et Edward Bates, un juge du Missouri, de la Justice.

Chacun de ses hommes, faut-il le préciser, se croyait supérieur à l'avocat dégingandé de Springfield, comme le rappelle l'historienne Doris Kearns Goodwin dans sa biographie de Lincoln intitulée Team of Rivals, qui jette un éclairage inédit sur la relation du 16e président avec ses principaux collaborateurs.

Il va sans dire que Barack Obama a lu ce livre paru il y a trois ans. Il en parlé à plusieurs reprises pendant la course à l'investiture démocrate. En janvier, Katie Couric, chef d'antenne de la chaîne de télévision CBS, lui a notamment demandé de nommer le livre, à part la Bible, qu'il considérerait essentiel s'il était élu à la Maison-Blanche.

«Le livre Team of Rivals de Doris Kearns Goodwin, a-t-il répondu sans hésitation. Elle parle de la capacité de Lincoln d'attirer dans son cabinet ses adversaires, les gens qui avaient fait campagne contre lui. Il était assez confiant pour avoir autour de lui ces voix dissidentes, assez confiant pour écouter le peuple américain et le sortir de sa zone de confort. Et je pense qu'une partie de ce que je veux faire comme président est de sortir un peu les Américains de leur zone de confort. C'est une étude remarquable sur le leadership.»

John McCain

Dans ce contexte, la décision de Barack Obama d'offrir à Hillary Clinton un poste prestigieux dans son futur cabinet n'a rien de surprenant. Il ne faudrait pas s'étonner non plus si le président élu confiait d'amples responsabilités à des républicains. Il pourrait notamment demander à Robert Gates, l'actuel secrétaire à la Défense, de rester à son poste.

Obama pourrait évidemment causer une surprise encore plus grande en invitant John McCain à joindre son administration. Les deux hommes doivent se rencontrer demain à Chicago. Selon un communiqué de l'équipe de transition du président élu, ils doivent discuter «des moyens de travailler ensemble» pour parvenir à «un gouvernement plus efficace».

Si cette invitation à un rival républicain surprend les démocrates, c'est qu'ils n'ont pas bien écouté le discours de la victoire d'Obama, au soir du 4 novembre. Un discours où le politicien de l'Illinois a de nouveau fait allusion à Abraham Lincoln, cet «homme issu de cet État qui a, le premier, porté la bannière du Parti républicain à la Maison-Blanche, un parti fondé sur des valeurs d'indépendance, de responsabilité individuelle et d'unité nationale.

«Ce sont des valeurs que nous partageons tous, a ajouté Obama. Et si le Parti démocrate a remporté une grande victoire ce soir, nous l'accueillons avec une certaine humilité, et avec la détermination de remédier aux divisions qui ont retardé notre progrès. Comme Lincoln l'a dit à une nation bien plus divisée que la nôtre, «Nous ne sommes pas ennemis, mais amis. Bien que la passion les ait éprouvés, elle ne doit pas briser nos liens d'affection''.»