Lucie et Guylaine Gagnon sont nées à Chicago en octobre 1968, durant un séjour de quatre ans de leur famille aux États-Unis. Les jumelles vivent à Longueuil, mais elles ont leur citoyenneté américaine. Elles ont voté Obama dans un vote postal par anticipation. Ce soir, elles seront rivées à leur écran télé.

Les jumelles s'identifient au Parti démocrate et suivent les élections américaines avec passion. Guylaine est particulièrement militante. «Durant les trois dernières campagnes électorales, j'ai participé comme bénévole pour les campagnes présidentielles d'Al Gore, de John Kerry et, cette année, de Barack Obama», dit Guylaine Gagnon. Elle s'est jointe à un groupe d'Américains vivant à Montréal, qui se sont impliqués dans la campagne en faisant de la sollicitation téléphonique d'électeurs indécis. «On a fait des «phones parties», entre amies, des fois une heure, parfois deux.»Pourquoi ces deux Gagnon, Longueuilloises et francophones, qui ont la citoyenneté américaine par accident, votent-elles aux élections américaines avec autant de passion?

«J'ai marié un Américain en 1999. Mon mari et moi sommes partis vivre en Californie la même année. C'est quand on a vu George W. Bush arriver, lors de la campagne de 2000, qu'on s'est impliqués politiquement. Nous avons participé à la campagne téléphonique pour Al Gore. J'ai la chance d'avoir la double citoyenneté, j'ai le droit de vote, et je trouve que les enjeux de politique américaine touchent toute la planète: les guerres en Irak et ailleurs, la politique étrangère des républicains, leur politique environnementale, les enjeux économiques et la crise financière.» À cause de sa taille, ce que décide le président de la superpuissance américaine touche bien plus que les habitants des États-Unis, dit-elle. Dans le fond, elle fait ce que bien des Québécois américanophiles aimeraient pouvoir faire.

Elle a participé comme bénévole à une campagne électorale municipale à Longueuil, mais elle avoue ne pas s'impliquer dans la politique fédérale ni provinciale canadienne. «C'est une question piège qu'on me pose souvent. Mais que voulez-vous? Ça me touche moins.»

Mme Gagnon est encouragée par les sondages qui donnent Obama gagnant, mais comme bien d'autres, elle s'inquiète de la version américaine de «l'angoisse de l'isoloir» à la québécoise. De la même façon qu'il faut déduire quelques points de pourcentage aux intentions de vote pour l'indépendance, les commentateurs politiques américains estiment que les candidats noirs doivent s'attendre à recueillir moins de votes le jour de l'élection que ce qu'annoncent les sondages.

«Ça me préoccupe beaucoup. Récemment, j'ai cessé de lire le journal. J'ai peur que des gens changent d'avis. Ils ont dit une chose aux sondeurs, mais une fois dans l'isoloir, quand vient le moment de faire leur X, que feront-ils?»

«On mesure mal, ici, l'importance du facteur racial aux États-Unis. Leur réalité est très différente de la nôtre, il y a des gens chez qui ces choses sont ancrées très profondément.»

«J'ai de la belle-famille dans le Sud profond, dans le Mississippi et les questions raciales sont un sujet tabou.» On n'entend pas de gros mots, mais c'est un sujet que personne ne semble vouloir toucher.

«Mon mari est anthropologue à l'Université de Montréal, il travaille sur l'Afrique. On ne parle jamais de son travail quand on est en visite là-bas. Une fois, sa mère, à table, a mentionné qu'il rentrait du Congo. La remarque est tombée complètement à plat, pas une question, pas un mot, pas de conversation là-dessus. Il y a eu un petit silence, et quelqu'un a changé de sujet.»