Barack Obama a beau assurer qu'il représentera tous les Américains quelle que soit leur couleur s'il arrive à la Maison-Blanche, un petit nombre d'électeurs, néanmoins influents, craint qu'un président noir ne favorise les Noirs au lieu de consacrer toutes ses forces au redressement de l'économie.

Le sénateur démocrate de l'Illinois, métis né d'un père noir et d'une mère blanche, doit précisément une partie de son succès face au républicain John McCain au fait qu'il se revendique comme le candidat «post-racial». Il promet de défendre les classes moyennes, de représenter tout le monde, plaide pour que les Blancs pauvres bénéficient de mesures de discrimination positive et trouve que des minorités privilégiées, ses deux filles par exemple, devraient être exclues de ces dispositifs.

Mais le racisme latent et la coïncidence de l'élection présidentielle avec la crise économique et financière réveille de vieilles peurs dans chez des Américains blancs très convoités: les électeurs indécis des classes moyennes et inférieures.

A Lafayette, en Louisiane (Sud), Charles Palmer, 74 ans, compte ainsi voter McCain le 4 novembre alors qu'il est enregistré en tant que sympathisant démocrate. «Je crois qu'il (Obama) a probablement cette notion de minorité dans un coin de sa tête, au fond de lui-même (...) Il ne leur fera pas de mal (aux Noirs), disons les choses comme ça», se justifie-t-il, estimant que «c'est juste l'attitude des Noirs envers les Blancs dans ce pays, c'est très négatif».

Les plus durement touchés par la crise sont encore plus directs, comme ce paysan d'Eau Claire (Wisconsin, nord), qui déclarait récemment au magazine «New Yorker» que l'élection de Barack Obama signifierait «la fin de la vie telle que nous la connaissons aujourd'hui». Un retraité de l'administration du Kentucky (centre-est) ne voulait pas d'un Noir président parce qu'«il mettrait trop de minorités en position de supériorité sur la race banche».

Ces réactions appellent d'autres interrogations: doit-on en déduire que John McCain favoriserait les citoyens blancs et que les 43 présidents précédents l'ont fait? Les intérêts des Blancs et Noirs sont-ils nécessairement opposés? «Le dossier économique a énormément joué en faveur d'Obama à la fin de la campagne», analyse Glenn Loury, professeur de sociologie et d'économie à la Brown University, mais «après l'élection, nombre de ces questions reviendront de façon plus intense parce qu'un homme noir dirigera le pays».

Pour l'heure, on constate que Barack Obama, dans son équipe de campagne et au Sénat, mêle Blancs et Noirs -John McCain n'a pas fourni d'informations sur la composition raciale de son personnel. Certains rédacteurs de gauche ou issus des minorités reprochaient même au démocrate de ne pas désigner davantage de minorités aux postes décisionnels lorsqu'il était le premier Noir à présider la revue de l'université de droit de Harvard, a affirmé l'un de ses anciens camarades, Bradford Berenson, à la chaîne PBS.

Le gouvernement actuel comprend notamment une secrétaire d'État noire, Condoleezza Rice, un secrétaire au Commerce hispanique, Carlos Gutierrez, et une secrétaire au Travail asiatique, Elaine Chao. George W. Bush a été le premier à nommer un Noir, Colin Powell, chef de la diplomatie des États-Unis (2001-2005), tandis que son prédécesseur démocrate Bill Clinton (1993-2001) avait composé l'un des cabinets les plus mixtes de l'histoire du pays.

Même des électeurs blancs qui pensent que Barack Obama dirigerait le pays sans faire de discrimination s'inquiètent de l'influence de l'évolution démographique de l'Amérique sur la politique.

«Si les Latinos sont au pouvoir, ils fixeront des priorités favorables aux Latinos. (Barack Obama) ne marche pas comme ça, mais qui va l'influencer? Le Reverend (Jeremiah) Wright (l'ancien pasteur controversé du candidat)? Jesse Jackson? (pasteur militant noir des droits civiques? Ou bien Colin Powell? (républicain mais soutient Obama)», se demande Dominic Moccio, informaticien à North Brunswick, dans le New Jersey (Est).

Moccio, inscrit en indépendant, vote McCain mais n'a pas peur d'une présidence Obama. Pourtant, «c'est dur d'être un homme blanc de nos jours», soupire-t-il, «tout autour de moi je vois des gens jouir d'un traitement de faveur du fait de leur ethnie, leur sexe ou leur orientation sexuelle. Tous ces gens sont protégés. Mais moi je vois juste des gens en concurrence avec moi».

Selon un sondage AP-Gfk publié la semaine dernière, 55% des hommes blancs votent John McCain et 33% Barack Obama, alors que la moyenne nationale dans cette enquête était de 44% pour le démocrate et 43% pour le républicain