Le chemin pour aller au ranch de John McCain va comme suit : de Phoenix, empruntez l'autoroute 17 vers le nord. Prenez la sortie 293 et roulez entre les montagnes ferreuses qui bordent le Red Rock State Park. Tournez à droite au restaurant Grasshopper Grill, et filez entre les vignobles accrochés à flanc de collines, entre les bosquets de sauge, les grands chênes aux feuilles jaunes et les jeunes sycomores à peine plus hauts qu'un homme. Après six milles, le ranch est sur votre droite.

La maison est en bois rond et en bardeau de cèdre. L'endroit est agréable, mais loin d'être le plus luxueux du clan McCain. Il n'y a pas de grilles à l'entrée. Pas de gardes de sécurité. Les volets sont fermés pour la saison. Les occupants sont ailleurs, en train de faire campagne pour entrer à la Maison-Blanche.

 

Demandez à cent experts de la politique américaine de vous dire où se trouve le ranch de John McCain, et l'on vous répondra cent fois : Sedona, en Arizona. Une petite ville embourgeoisée et vaguement nouvel âge qui accueille les touristes en route vers le Grand canyon.

Or, pour la postérité, précisons que le ranch est en fait situé à 12 milles de Sedona, dans la municipalité de Cornville. Un nom qui sonne moins bien.

«Ici, c'est moins chic qu'à Sedona, explique Twiggy LeMieux, serveuse au Grasshopper Grill. À chaque fois qu'on entend McCain dire qu'il habite à Sedona, on grince des dents. Les gens sont fiers, ici.»

Le Grasshopper Grill a des planchers en bois, un plafond en bois, des murs en bois, un bar en bois. La télé plate au mur montre un chasseur à l'arc en train d'attendre sa proie. Un écriteau sur une poutre annonce que samedi soir, c'est la soirée karaoké. Le bar propose trois sortes de bières en fût : Blue Moon, Bud Light, et la Oak Creek, une pale ale brassée localement qui fait la fierté des gens du coin.

Mme LeMieux laisse échapper un rire lorsqu'on lui demande si elle va voter pour McCain. «Je ne vote pas en fonction du fait qu'il habite ici, si c'est ce que vous voulez savoir. Ce n'est pas un concours de popularité.»

McCain, dit-elle, habite à six miles du restaurant depuis 24 ans et n'est jamais arrêté dire bonjour. Ou chanter le karaoké. «On ne le voit pas. On ne sait jamais s'il est là ou non.»

Appui sans enthousiasme

Le Cornville Barber Shop est situé à l'autre bout de la ville, c'est-à-dire à deux minutes en auto. On s'y rend en traversant un petit pont qui enjambe la rivière Oak Creek. Chaque année, 500 espèces d'oiseaux migrateurs s'arrêtent en amont, dans le Oak Creek Canyon, durant leur voyage du Canada jusqu'en Amérique du Sud.

Assis dans sa vieille chaise de barbier, Lloyd Kyle lit le journal local en attenant les clients. Une affiche indique que les coupes de cheveux coûtent 9 $.

M. Kyle entend appuyer McCain cette année. Sans enthousiasme. «J'aurais aimé voter pour Romney, dit-il. Il est plus conservateur que McCain sur les enjeux sociaux.»

Les deux tiers de sa clientèle vont appuyer McCain, évalue-t-il. «Ma femme a peur que McCain gagne. Elle dit que ça va changer Cornville... C'est assez tranquille ici, et les gens aiment ça. Les gens aiment faire du cheval, de la moto, ce genre de choses. Il n'y a pas beaucoup de visiteurs.»

M. Kyle estime que McCain manque de chance cette année. «Avec la guerre en Irak et l'économie, il a déjà deux prises contre lui.»

John McCain n'est jamais venu se faire couper les cheveux ici, dit-il. «Le mois dernier, McCain est venu faire le plein d'essence au magasin général. Juste ici» dit-il en pointant la bâtisse voisine à travers la fenêtre.

Le gérant du magasin général Cornville County Market, Jim Rollins, n'était pas là quand M. McCain est passé. Le candidat et son entourage ont été vus récemment au Starbucks de Cottonwood, la ville voisine.

«Il y avait huit gros VUS noirs dans l'entrée du Starbucks, pour que McCain aille se chercher un café. Je trouve ça drôle qu'il se mette à socialiser avec les gens. Avant la campagne électorale, on ne le voyait jamais...»

Comme la majorité de ses concitoyens, M. Rollins aimerait entendre le candidat dire que son ranch se trouve à Cornville. «Pourquoi il ne le dit pas ? Les gens remarquent ces choses-là ici.»