Un éclair peut-il causer la perte d'un avion dernier cri en plein vol? La question s'est posée hier après que les dirigeants d'Air France eurent évoqué la possibilité que la foudre soit liée à la disparition d'un Airbus au large des côtes africaines hier. Cependant, les experts ont mis bien peu de temps à douter de cette première hypothèse.

«La foudre frappe souvent les avions et je ne me souviens pas qu'il y ait jamais eu un accident lié au phénomène, a noté hier Jules O'Shea, professeur en génie électrique à l'École polytechnique de Montréal. Les avions sont conçus pour que la charge [d'un éclair] soit répartie également sur tout le fuselage, qui sert de coquille à l'appareil. Les passagers ne ressentent pas de choc électrique.» Dans la plupart des cas, croit le professeur, la foudre laisse quelques marques sur le fuselage. Ces dernières sont réparées par les compagnies aériennes au retour au sol. «Mais ça n'arrête pas un vol», a-t-il ajouté.

 

Pilote de ligne et journaliste spécialisé en aviation, Jean-Christophe Lamy abonde. «La thèse d'un éclair puissant qui a pu détruire à lui seul un avion n'est pas du tout plausible. Cependant, il se peut que la foudre fasse partie d'une série de circonstances qui ont mené à l'accident», a-t-il souligné. Ce fut notamment le cas en 1963 quand la foudre a mis le feu aux vapeurs de kérosène d'un avion de la compagnie Pan Am. Survenue au Maryland, l'explosion qui en a résulté a tué 81 personnes et entraîné de nouvelles mesures de sécurité.

Peu de détails, bien du mystère

Pour le moment, Air France a laissé filtrer bien peu de détails sur les circonstances de la tragédie aérienne impliquant un Airbus A330, un appareil récent qui n'a jamais connu d'accident. Le directeur général de la compagnie aérienne, Pierre-Henri Gourgeon, a précisé hier soir que son organisation attendait les résultats d'une enquête. Mais déjà, quelques éléments d'information rendus publics hier faisaient l'objet d'analyses.

Le commandant de bord du vol 447 a signifié à une tour de contrôle qu'il traversait une «zone orageuse avec de fortes turbulences» à 2h GMT alors qu'il se trouvait dans un secteur de l'Atlantique Sud particulièrement enclin aux orages et aux cyclones, surnommé «pot en noir» par les météorologues français. Quelque 14 minutes plus tard, le système informatisé de l'appareil envoyait un message à la compagnie aérienne annonçant des pannes électriques multiples. L'avion a ensuite disparu, sans que ses balises de détresse, conçues pour annoncer une situation de danger ou un écrasement imminent, n'émettent de signal.

«C'est de la spéculation, mais il se peut qu'un éclair ait conduit à une panne électrique et que le radar ait été touché. Dans ces circonstances, il se peut qu'il ait été difficile d'éviter un nuage dangereux, comme un cumulonimbus. Ces nuages peuvent mener à la désintégration d'un avion, puis à la perte de contrôle», a avancé Jean-Christophe Lamy, en expliquant que les pilotes apprennent dès les premiers jours de leur entraînement à éviter ces nuages très instables. «Ce sont de véritables monstres» faits de vents contraires et de morceaux de pierre et de glace, a noté le pilote.

Jules O'Shea, quant à lui, évoque la possibilité d'une chute de l'avion causée par des couches d'air superposées se déplaçant dans des directions opposées. «Quand l'avion passe entre ces couches, c'est là qu'il peut subir un décrochage et tomber de 5000 à 6000 pieds. Peut-être que dans ce cas-là, le décrochage a été beaucoup plus grave», conjecture l'ingénieur, en rappelant qu'en avril, un vol d'Air Canada, faisant la navette entre Sydney et Vancouver, a dû atterrir d'urgence après avoir subi de telles turbulences.

Le mystère qui entoure la disparition de l'Airbus d'Air France rappelle cependant à l'expert en commande de vol un autre épisode beaucoup plus noir de l'aviation canadienne: celui du vol 182 d'Air India qui, en 1985, est parti de Toronto en direction de Bombay, mais ne s'y est jamais rendu. Au début, les autorités avaient rapporté une disparition avant de confirmer qu'une bombe avait explosé, causant la mort de 329 personnes. «Mais il n'y a pas assez d'éléments pour le moment qui permettent d'aller vers cette thèse», a conclu M. O'Shea.