La forte baisse des nouveaux cas d'Ebola en Afrique de l'Ouest laisse enfin penser que l'on commence à maîtriser l'épidémie. Et le bilan actuel de 10 000 morts semble presque dérisoire par rapport aux scénarios catastrophes qui circulaient l'automne dernier. A-t-on paniqué pour rien? Non, répondent les experts. Voici pourquoi.

1. Ce n'est pas fini

Le chiffre fait renaître l'espoir: la semaine dernière, l'Organisation mondiale de la santé a répertorié 128 nouveaux cas d'Ebola en Afrique de l'Ouest, contre plus de 800 au pic de l'épidémie, l'automne dernier.

«Bien des choses peuvent survenir. Mais oui, ça pourrait être le début de la fin», dit Alessandro Vespignani, chercheur qui suit l'évolution de l'épidémie depuis ses ordinateurs de l'Université Northeastern, à Boston. M. Vespignani a toujours craint que l'épidémie frappe fort au Nigeria, le pays le plus populeux d'Afrique. Or, il calcule que cette probabilité est aujourd'hui inférieure à 1 %.

«C'est encourageant, commente Michel Janssens, directeur des communications de Médecins sans frontières (MSF) en France. Mais en même temps, ça ne veut rien dire. Un seul cas suffit à rallumer l'épidémie. Les gens se lassent des mesures d'hygiène extrêmement contraignantes et on craint actuellement un relâchement.»

Les intervenants s'inquiètent notamment du fait que bien des gens cachent encore les malades et les morts, notamment en Guinée, ce qui fait que des cas échappent aux statistiques.

«Combien? On l'ignore», dit Michel Janssens.

Une autre statistique inquiète les spécialistes: même si les organisations font d'immenses efforts pour retrouver tous les gens avec qui les malades ont été en contact, un faible pourcentage des nouveaux cas survient parmi ces listes de contact (aussi peu que 15 % en Guinée et 21 % au Liberia la semaine dernière). Les autres, des «cas surprises», montrent que la chaîne d'infection est encore loin d'être connue et maîtrisée.

2. L'alerte était nécessaire

Avec exactement 23 253 cas et 9380 morts répertoriés en date du 15 février, le bilan actuel reste à des années-lumière des scénarios catastrophes évoqués l'automne dernier.

Les prévisions les plus pessimistes avaient alors été avancées par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains, qui, en septembre, avaient évoqué jusqu'à 1,4 million de cas en janvier 2015.

En entrevue avec La Presse, le prévisionniste en chef des CDC, Martin Meltzer, s'est farouchement défendu d'avoir été alarmiste. Il rappelle que le chiffre de 1,4 million avait été publié en mentionnant qu'il s'agissait du scénario où les comportements sur le terrain ne changeaient pas, et qu'il incluait les cas non rapportés.

«Nous voulions fournir une illustration claire et directe des risques de ne rien faire», dit-il. Des prévisions sur un horizon aussi long ont été critiquées par d'autres chercheurs, mais M. Meltzer affirme qu'il était important d'avertir la communauté internationale que la lutte serait longue.

Alessandro Vespignani, de l'Université Northeastern, défend le travail du CDC. «Les gens ont pris le chiffre de 1,4 million sans lire l'article», dénonce-t-il.

«C'est comme si quelqu'un appelle les pompiers parce qu'il y a un feu, que les pompiers éteignent le feu, et qu'ensuite vous dites: «Regardez, il y a eu peu de dommages, vous avez appelé les pompiers pour rien» », lance-t-il.

3. L'Ebola n'est pas la grippe... ni la malaria

Avec 10 000 morts l'an dernier, l'Ebola a tué beaucoup moins que la malaria (384 000 décès en 2013) et la grippe, qui tue bon an mal an de 250 000 à 500 000 personnes. Les priorités ont-elles été mises au mauvais endroit?

«Il est facile de minimiser les choses aujourd'hui, mais les gens ne comprennent pas à quel point on a été au bord de la catastrophe», répond l'expert Alessandro Vespignani. Il rappelle que, contrairement à la malaria et à la grippe, il n'existe encore ni vaccin ni remède à grande échelle contre l'Ebola.

«Si vous ne faites rien, l'Ebola se propage à une vitesse qui n'a rien absolument à voir avec la malaria», ajoute le spécialiste.

Le virus de la grippe est quant à lui plus contagieux que celui de l'Ebola... mais ne tue pas 40 % des gens qu'il touche, comme ce fut le cas pour l'épidémie actuelle d'Ebola.

«Si vous laissez l'Ebola prendre les mêmes proportions que le virus de la grippe... Je ne veux même pas imaginer ce que ça donnerait», dit M. Vespignani.