Les travailleurs de la santé qui combattent l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest n'auront pas de répit à Noël. Malgré certains signes encourageants, un immense travail reste à faire. La Presse s'est entretenue avec la présidente de Médecins sans frontières, la Québécoise Joanne Liu, qui est de passage à Montréal pour la période des Fêtes. Bilan de fin d'année en cinq questions.

Q Verra-t-on la fin de l'épidémie d'Ebola en 2015?

R C'est assez difficile de répondre à cette question-là, car jusqu'à maintenant, toutes nos prédictions ne se sont pas avérées, ne se sont pas concrétisées. On voit quand même des tendances encourageantes, notamment au Liberia. [...] Mais tout récemment, à Kissidougou [en Guinée], nos équipes ont été rejetées par la population. C'est la peur, les gens ne comprennent pas la maladie. Quand ils voient que des étrangers arrivent et que les cas se multiplient, ils pensent que c'est nous qui amenons la maladie. Ça démontre que la réponse doit être globale, avec plusieurs piliers d'intervention, notamment la sensibilisation de la population. Un autre pilier, c'est la surveillance, avoir les bonnes données épidémiologiques, faire le suivi des gens qui sont infectés, s'assurer qu'on fait des enterrements sécuritaires. Le dernier pilier, c'est la prise en charge [des malades]. Si on n'avance pas sur tous ces piliers en même temps, la réponse sera toujours inadéquate et ce sera toujours difficile de prendre le dessus sur l'épidémie.

Q Êtes-vous surprise qu'il n'y ait pas plus de cas en Occident?

R Bien non! Ça me fait tellement rire, cette question-là. Je pense que les gens ne comprennent pas c'est quoi, l'Afrique de l'Ouest, et ne comprennent pas les infra-structures dans lesquelles les gens vivent au niveau sanitaire, au niveau étatique. Sur les trois pays touchés, il y en a deux qui ont passé au travers d'une guerre civile qui a duré plus d'une dizaine d'années, une des pires guerres civiles du XXe siècle. La Sierra Leone et le Liberia, ce sont des pays extrêmement fragilisés. Une épidémie comme l'Ebola, ils n'étaient pas préparés à quelque chose comme ça. [...] Quand on regarde le ratio patients-nombre de soignants [en Occident], ça n'a rien à voir, malheureusement, avec ce qu'on peut offrir, nous, en Afrique de l'Ouest aujourd'hui.

Q Quelles ont été la meilleure et la pire nouvelle de 2014?

R Notre bonne nouvelle, à Médecins sans frontières, c'est d'avoir passé le cap des 2000 patients guéris, il y a deux jours. On est assez contents de ça. Mais la très, très bonne nouvelle, c'est d'avoir commencé, le 17 décembre, notre projet de recherche sur l'utilisation du médicament antiviral faviripavir, qui va aider la réponse immunitaire des patients infectés. La mauvaise nouvelle, c'est que les gens ne se sont pas réveillés à temps. Quand on a sonné l'alarme, dès le printemps, si les gens avaient réalisé que c'était différent de toutes les épidémies qu'on a eues dans le passé et avaient mobilisé des ressources de façon concrète, on n'en serait pas arrivés à la catastrophe humaine des mois d'août et de septembre. Ça, c'est assez clair dans ma tête.

Q L'ONU a mis sur pied, durant l'automne, une mission temporaire contre Ebola, l'UNMEER. Ça aidera?

R Je crois que les intentions sont bonnes et que sur papier, ça a plein de bon sens. Je pense que l'objectif était de donner le ton sur l'ampleur et la gravité de la situation. Cela dit, on se retrouve avec des travailleurs de l'ONU qui ne sont pas habitués à faire de la coordination médicale et qui, du coup, sont un peu dépassés par les événements. Ça fait déjà un certain moment qu'ils sont là et on a encore de la difficulté à voir tous les dividendes que l'UNMEER peut apporter à la réponse à l'Ebola. [...] Fidèles à nous-mêmes, on est assez critiques. On trouve qu'un bureau à Accra [au Ghana], loin des pays affectés, ajoute à la difficulté d'avoir une plus-value sur le terrain.

Q Quels seront les défis de 2015?

R La difficulté à laquelle on fera face, c'est une mobilisation de ressources qui est calquée sur les besoins d'hier. Naturellement, l'épidémie a énormément évolué, elle a changé, et si les gens qui se déploient [...] ne se saisissent pas de cette réalité-là, n'adaptent pas la réponse qu'ils veulent apporter, eh bien, on aura failli deux fois à aider l'Afrique de l'Ouest. On sera arrivés en retard et on aura apporté une réponse qui ne correspondait pas aux besoins sur le terrain. Donc, le plus grand défi, ça va être que les gens qui se déploient démontrent une certaine souplesse.