La Guinée était sous le choc vendredi après la mort de huit responsables locaux et journalistes tués par des villageois, en réaction à une campagne de sensibilisation au virus Ebola dans le sud du pays.

C'est la première fois depuis le début de l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest, qui s'est déclarée en Guinée, qu'une réaction d'hostilité de populations à des actions officielles menées contre la maladie aboutit à des morts.

Huit des neuf membres de cette délégation portés disparus après des violences survenues mardi dans le village de Womey ont été retrouvés morts, a annoncé le gouvernement guinéen.

«Les investigations de la mission de recherche ont permis de découvrir huit corps dans le village», près de N'Zérékoré, deuxième plus grande ville de Guinée, en région forestière, la zone la plus touchée, a affirmé le gouvernement.

La moitié sont des responsables administratifs ou de santé : le sous-préfet de Womey, le directeur préfectoral de la santé de N'Zérékoré, le directeur adjoint de l'hôpital régional de N'Zérékoré et le chef du centre de santé de Womey.

Les quatre autres sont un pasteur et trois employés de médias - deux techniciens de la radio rurale de N'Zérékoré et un journaliste d'une radio privée.

«Le fils du sous-préfet a été retrouvé vivant caché dans les environs», a indiqué le porte-parole du gouvernement, Damantang Albert Camara.

Reporters sans frontières (RSF) a, dans un communiqué vendredi, «déploré la mort» des journalistes et demandé aux autorités de prendre «toutes les mesures possibles pour protéger» les hommes de médias «dans ce contexte de crise sanitaire».

Trois associations représentant les médias guinéens ont condamné «cette barbarie perpétrée sur des professionnels de médias qui ne faisaient que leur métier», soulignant que «les médias s'impliquent bénévolement dans la lutte contre l'Ebola, suite à une requête qui leur a été faite par le chef de l'État».

L'Organisation guinéenne de défense des droits de l'homme (OGDH) a également exprimé sa «vive indignation» après ce «meurtre collectif».

Un calme précaire régnait vendredi à N'Zérékoré, où sept des huit corps ont été acheminés jeudi soir dans l'hôpital de la ville, selon des habitants, joints au téléphone par l'AFP de Conakry.

Une victime a déjà été enterrée à Womey et «sept corps vont être inhumés» à N'Zérékoré vendredi, a indiqué à l'AFP un responsable administratif local «Le climat est lourd. La situation est calme, mais c'est un calme précaire», a affirmé un habitant.

«Nous nous apprêtons à aller à la place des martyrs pour rendre un hommage à nos martyrs puis que les morts de Womey sont morts dans l'exercice de leurs fonctions», a déclaré à l'AFP Alphonse Théa, un enseignant.

Les émeutes survenues mardi à Womey avaient fait 21 blessés, selon les autorités locales.

La délégation, conduite par le gouverneur de N'Zérékoré, Lancéi Condé, pour mener une mission de sensibilisation sur l'épidémie, a été accueillie «à coups de pierres et de bâtons», avait raconté à l'AFP un de ses membres, le lieutenant de gendarmerie Richard Haba.

Les manifestants soupçonnaient l'équipe d'être «venue les tuer parce que, selon eux, Ebola n'est qu'une invention des Blancs pour tuer les Noirs», avait-il expliqué.

Au moins 55 personnes avaient été blessées fin août à N'Zérékoré, où un couvre-feu avait été imposé, à la suite d'affrontements entre manifestants et forces de l'ordre.

Des commerçants protestaient alors contre une équipe de santé venue, selon eux, pulvériser du produit désinfectant dans leur marché sans préavis.

L'épidémie d'Ebola, la plus grave de l'histoire de cette fièvre hémorragique identifiée en 1976, a tué au moins 2630 personnes depuis le début de l'année, dont plus de 600 en Guinée, selon un dernier bilan de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Les Sierraléonais confinés

Les rues de la capitale de Sierra Leone, Freetown, étaient vides vendredi, au premier des trois jours de confinement de la population du pays pour une campagne de porte-à-porte géante visant à juguler l'épidémie d'Ebola, décrétée «menace pour la paix et la sécurité internationales» par l'ONU.

Le but de cette opération controversée était l'information des populations, un enjeu vital tragiquement illustré en Guinée voisine.

Quelque 30 000 volontaires par équipes de quatre sillonnaient le pays pour informer en trois jours 1,5 million de foyers pour les informer sur l'épidémie, qui a fait 562 morts sur 1673 cas en Sierra Leone.

Seuls les véhicules utilitaires et des urgences circulaient dans la capitale de 1,2 million d'habitants, d'habitude congestionnée.

«La police ordonnera à quiconque sera trouvé dans la rue sans motif valable de rentrer immédiatement chez lui», a averti le président Ernest Bai Koroma dans une allocution radiotélévisée.

La population est autorisée à sortir pour des nécessités essentielles, comme chercher de l'eau, et à aller prier après 18 h. «Cette campagne de trois jours ne va pas mettre un terme à elle seule à l'épidémie d'Ebola, mais si tout le monde suit les recommandations des équipes de sensibilisation, elle contribuera beaucoup à inverser la tendance d'accélération de la transmission», a assuré M. Koroma.

Leur mission est de distribuer à chaque foyer un savon, transmettre des informations sur Ebola, mais pas d'entrer dans les domiciles, avec instruction d'alerter les services spécialisés s'ils découvrent des malades ou des morts.

S'attendant à identifier de nombreux nouveaux cas, les autorités ont prévu des lits supplémentaires, dont plus de 250 autour de la capitale.

L'accueil initial était plutôt favorable.

«Il y avait beaucoup de messages contradictoires dans le quartier sur cette campagne, mais nous voyons maintenant que c'est une bonne chose pour nous tous. Il s'agit de sauver nos vies», a déclaré Sammy Jones, un père de famille, dans l'ouest de Freetown.

Le chef d'une équipe dans le centre de la capitale, Francis Coker, a précisé que «les questions les plus fréquentes portaient sur la stigmatisation et les traitements expérimentaux. Cela montre que les gens veulent désespérément un médicament».

«Marathon à la vitesse d'un sprint»

Une porte-parole de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Nicka Alexander, a dit «espérer que cette opération de trois jours soit utile», se félicitant que «les habitants de Freetown la prennent au sérieux en restant chez eux».

«C'est un marathon parce que nous savons qu'il faudra encore des mois de mobilisation, mais nous devons le courir à la vitesse d'un sprint», a-t-elle affirmé.

L'UNICEF, qui participe au financement, a salué l'opération, son représentant Roeland Monasch estimant nécessaire de donner aux habitants «les informations qui pourront les sauver là où ils vivent, sur le pas de leur porte».

Mais les spécialistes de santé publique doutent de l'efficacité d'une opération aussi contraignante.

Présente en Sierra Leone, Action contre la Faim (ACF) s'est dite «très préoccupée par les conséquences de la mise en place de mesures coercitives de masse vis-à-vis d'une population déjà en souffrance et méfiante à l'encontre du système de santé».

Le risque est particulièrement important dans le cas de l'Ebola, maladie effrayante qui a suscité des réactions de déni, parfois violentes, des populations.

La mobilisation internationale a franchi un palier jeudi, avec l'adoption à l'unanimité par le Conseil de sécurité d'une résolution qualifiant l'épidémie de «menace pour la paix et la sécurité internationales», une première pour une urgence sanitaire.

Selon la directrice générale de l'OMS Margaret Chan, il s'agit «du plus grand défi jamais relevé par l'ONU et ses agences en temps de paix».

Le coordinateur de l'ONU pour l'Ebola, le Dr David Nabarro, a déploré une réaction internationale encore trop faible, estimant que pour regagner du terrain sur le virus elle devrait être «20 fois plus forte qu'en ce moment».

L'ONU estime avoir besoin de près d'un milliard de dollars sur six mois.

Une infirmière française de Médecins sans Frontières (MSF) contaminée à Monrovia, capitale du Liberia, de loin le pays le plus touché avec 1459 morts, a été rapatriée et recevait vendredi des «traitements expérimentaux» dans un hôpital de la région parisienne.