On meurt actuellement de l'Ebola, et c'est donc maintenant, de toute urgence, que les dons promis par la Banque mondiale ou par les gouvernements doivent être acheminés. L'Afrique de l'Ouest a besoin d'argent, elle a besoin de gens sur le terrain pour endiguer l'épidémie. Pas dans un mois. Maintenant. «Mais qui a envie de venir ici? On est à risque en permanence.»

La Québécoise Joanne Liu, présidente de Médecins sans frontières international, est depuis une dizaine de jours au coeur de l'épidémie. Attrapée au vol au téléphone à Conakry, en Guinée, elle revenait du Liberia et de la Sierra Leone, et ne cachait pas son impuissance.

On manque de tout et la situation est extrêmement inquiétante, signale la Dre Liu. «L'Ebola n'a pas le pouvoir d'attraction que peut avoir un désastre naturel. On est loin, par exemple, de la congestion d'organismes de toutes sortes qui se bousculaient en Haïti après le tremblement de terre [de 2010]. Ici, ça ne se bouscule pas. Non, ça ne se bouscule pas du tout.»

L'inconnu

Tout est encore à faire, comprend-on, et on ne connaît même pas l'ampleur de l'épidémie. Mille morts? Ça reste à voir. La Dre Liu soupçonne que c'est bien davantage. «On n'a toujours pas de données fiables pour le moment. Encore beaucoup de gens cachent leurs morts chez eux pour pouvoir accomplir leurs rites funéraires.»

Si la Guinée vit avec l'Ebola depuis déjà cinq mois, le Liberia et la Sierra Leone «viennent tout juste de dépasser le stade du déni» - c'est-à-dire ne plus attribuer les morts à la sorcellerie, à des empoisonnements ou à des voleurs d'organes.

Il reste que «pour bien des gens, nos habits de cosmonaute et tout cela, c'est de la science-fiction».

Les gens vivent toutes sortes de renoncements: celui de ne pas pouvoir enterrer leurs proches selon leurs traditions, en les touchant et en les embrassant; celui, parfois, d'être mis en quarantaine dès l'apparition des premiers symptômes; celui, aussi, de ne pas pouvoir accompagner son père ou son enfant dans la mort, en sachant qu'il mourra seul, sans personne pour lui tenir la main dans ses derniers moments.

Et la peur, toujours.

«Rappelez-vous comment on a réagi au SRAS, en 2003. Tout de suite, il y a eu psychose, alors que l'Ebola, c'est le SRAS à la puissance 160, avec des décès qui surviennent dans 50% à 90% des cas. En plus, ici, les moyens sont nettement moindres que ce qu'on voit au Canada. C'est normal que les gens aient peur.»

Cette peur n'épargne pas les travailleurs humanitaires. «Ce n'est certes pas un endroit pour les anxieux. Quand tu entres dans un centre de traitement, tu t'es déjà fait dire quantité de fois de ne toucher à rien, de ne pas toucher à ton visage, et tu as toujours peur de poser le mauvais geste. Et quand t'es dehors, tu te sais encore à risque parce que tu sais que tu peux rencontrer quelqu'un qui est en début de symptôme. Plus personne ne se touche, plus personne ne se serre la main.»

Dans ce contexte inquiétant, Médecins sans frontières s'affaire sur plusieurs fronts. L'organisation soigne les gens mis en quarantaine, mais surtout, elle cherche à travailler en amont, à éduquer la population sur les précautions à prendre et à retrouver toutes les personnes qui ont été en contact avec les malades.

Il faut aussi rétablir de toute urgence les soins de base. «De peur d'y contracter la maladie, les gens ont déserté les hôpitaux. La saison des pluies arrive, et si rien n'est fait pour rétablir les soins généraux, les gens mourront presque davantage de malaria que d'Ebola.»

Agir tout de suite

C'est une bonne chose que l'Organisation mondiale de la santé ait décrété que l'épidémie d'Ebola est une urgence de santé mondiale et que des promesses de dons soient faites, signale la Dre Liu. «Mais tout ça n'aura aucune valeur si ce n'est pas assorti de gestes concrets posés tout de suite. Pas dans un mois ou deux. Tout de suite. Il ne faut pas en rester au stade des paroles. [...] Des «fast tracks» doivent être mises en place pour accélérer les choses.»

Y compris pour déployer des traitements non homologués? «Là-dessus, à Médecins sans frontières, nous sommes en réflexion. Nous y sommes ouverts, mais il faudrait que ce soit fait de façon éthique et responsable, en se souvenant qu'on parle de petites productions et que tout le monde ne pourra pas y avoir accès.»

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Joanne Liu, présidente de Médecins sans frontières international.