Les Ukrainiens commémorent samedi la répression sanglante du soulèvement proeuropéen du Maïdan, il y a deux ans, dans un pays de nouveau frappé par une crise politique et rongé par la corruption et l'injustice contre lesquelles ils avaient milité.

Le vice-président américain Joe Biden s'est entretenu dans la nuit « séparément » avec le président Petro Porochenko et son premier ministre Arseni Iatseniouk, à couteaux tirés après la tentative avortée cette semaine de destituer le gouvernement au Parlement, pour souligner que « beaucoup restait à faire pour rendre hommage à ces Ukrainiens courageux qui ont tant donné pour le meilleur avenir de leur pays ».

Alors que la coalition prooccidentale au pouvoir est sur le point d'éclater, il a appelé les dirigeants ukrainiens portés au pouvoir par le Maïdan à « restaurer la confiance populaire autour d'une forte coalition » et à « accélérer la lutte contre la corruption ».

Petro Porochenko et son épouse Marina se sont recueillis dans la matinée sur l'allée de la Centurie céleste devant les portraits de plus de 100 victimes des tueries du Maïdan.

Les deux années qui ont suivi ces violences à Kiev ont été ponctuées par des bouleversements tragiques pour les Ukrainiens.

Après la chute du régime prorusse du président Viktor Ianoukovitch en février 2014, la Russie a annexé le mois suivant la péninsule ukrainienne de Crimée. Peu après, un conflit armé dans l'Est a éclaté faisant depuis plus de 9000 morts.

Plus de 250 responsables présumés des tueries sont poursuivis par la justice ukrainienne, mais aucune condamnation retentissante n'a encore été prononcée.

Le niveau de vie de la plupart des Ukrainiens a drastiquement chuté dans le sillage de la dépréciation de la monnaie et de l'inflation. Et le pays a sombré dans des scandales de corruption qui rappellent les pratiques courantes du régime d'avant le Maïdan.

« Capables de tout »

Mais ceux qui ont participé aux trois mois de contestation sur le Maïdan se réjouissent aujourd'hui du changement des mentalités provoqué par ce soulèvement, même s'ils sont déçus par le pouvoir en place.

« Mes espoirs pour la lutte contre la corruption n'ont pas été satisfaits. Mais nous sommes capables de faire tout cela. Je suis content que les gens soient mobilisés depuis le Maïdan », explique Konstantin Levitski, un étudiant de 30 ans. « Sur le plan moral les changements ont été positifs. Les gens ont cessé d'avoir peur du pouvoir. Si nous avons renversé la ''famille de Ianoukovitch'' [le très puissant clan politico-financier de l'ancien président, NDLR], nous sommes capables de chasser tout pouvoir si nécessaire », lance-t-il.

Une mise en garde adressée au président Petro Porochenko, l'un des hommes les plus riches du pays dont la fortune a grimpé depuis son arrivée au pouvoir malgré la crise et la guerre qu'il avait promis d'arrêter en trois mois.

Pour l'avocat Roman Masselko, 35 ans, qui a défendu les militants arrêtés pendant la contestation, c'est l'impunité qui érode le système.

« Le banc des accusés est très petit, deux ans après le massacre et ce sont de simples exécutants qui sont poursuivis », a-t-il dit à l'AFP. « L'enquête est délibérément sabotée [...] et la responsabilité en revient au pouvoir politique », juge M. Masselko.

Sur 330 juges accusés d'avoir rendu des jugements injustes contre les militants du Maïdan, « seuls 10 ont été limogés, une vingtaine font l'objet de poursuites criminelles, mais 90 % d'entre eux continuent de travailler », s'insurge-t-il.

Malgré ce constat amer, l'avocat reste optimiste: « Après le Maïdan la société ukrainienne sait qu'il n'y a pas de portes qui ne puissent être ouvertes ».

Et Kateryna Chevtchenko, 63 ans, s'emporte contre les dirigeants d'aujourd'hui qui « se sont servis des manifestants ». « Cette année je n'ai même pas pu m'acheter une bouteille de vin mousseux pour le Nouvel An. Et là-haut ils continuent de voler », peste la retraitée qui avait manifesté jour et nuit en 2014, se disant prête à recommencer.