L'adoption par le Parlement ukrainien d'un projet de loi octroyant une plus grande autonomie aux régions séparatistes prorusses en guerre avec Kiev a tourné lundi à l'affrontement meurtrier entre policiers et militants d'extrême-droite opposés à cette réforme, faisant un mort et des dizaines de blessés.

C'est la première fois depuis le soulèvement pro-européen de Maïdan début 2014, qui avait conduit à la chute du président prorusse Viktor Ianoukovitch, que la capitale ukrainienne est le théâtre de telles violences.

Ces affrontements ont suscité la vive préoccupation des États-Unis et de l'Union européenne, soutiens des autorités aux affaires depuis le printemps 2014 en Ukraine, et de la Russie, accusée par les Occidentaux de soutenir les rebelles séparatistes de l'est du pays.

Les heurts ont opposé les forces de l'ordre à, notamment, des membres du parti nationaliste et antirusse Svoboda en colère à l'idée de voir les députés accorder une plus grande autonomie à leurs ennemis jurés des territoires sous contrôle rebelle.

Cette question de l'autonomie des «républiques populaires» autoproclamés de Donetsk et de Lougansk est au coeur des accords de paix de Minsk-2, signés en février avec la médiation de la France et de l'Allemagne. Mais elle est synonyme pour beaucoup de nationalistes d'abandon de ces territoires aux rebelles.

Dans la soirée, le président ukrainien Petro Porochenko a pris la parole pour dénoncer un «coup dans le dos» de l'Ukraine et a promis de punir les responsables des violences.

«C'était une action anti-ukrainienne» dont les  organisateurs «devront être sévèrement châtiés», a-t-il déclaré, dans une claire allusion à Svoboda, déjà qualifiés de «bandits» et accusés d'être à l'origine des violences par le ministre de l'Intérieur Arsen Avakov.

Svoboda, qui ne siège plus au Parlement, est un parti d'extrême-droite dont le leader Oleg Tyagnibok s'est fréquemment illustré pour ses excès verbaux contre les Russes ou ses commentaires antisémites.

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Cette nouvelle crise politique s'est cristallisée dans la matinée quand plusieurs centaines de manifestants, dont de nombreux nationalistes et militants de Svoboda, ayant appris que le texte sur l'autonomie avait été adopté en première lecture, ont commencé à jeter des grenades fumigènes sur la police qui défendait le Parlement.

Rapidement, le ton a monté: un engin explosif lancé depuis la foule est tombé devant l'entrée principale du bâtiment, faisant de nombreux blessés, essentiellement des membres de forces de l'ordre mais aussi plusieurs journalistes, a constaté un journaliste de l'AFP.

Un membre de la Garde nationale a succombé à un éclat dans le coeur selon Natalia Stativko, la porte-parole du ministre de l'Intérieur.

Selon la police de Kiev, jusqu'à 100 personnes ont été blessées, dont plusieurs gravement. Dans un bilan séparé, les autorités municipales ont indiqué que les secours avaient identifié 56 blessés, soit 54 policiers et deux journalistes.

«Trente personnes ont été arrêtées, il y aura d'autres arrestations. Le lanceur de grenade a été attrapé» en possession d'autres grenades, a ajouté M. Avakov, précisant qu'il s'agissait d'un militant du parti Svoboda, combattant dans un bataillon paramilitaire dans l'est de l'Ukraine.

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Le parquet de Kiev a pour sa part annoncé dans un communiqué l'ouverture d'une enquête pour «meurtre, violences, troubles massifs et violations de l'ordre public».

Projet de réforme controversé 

Les heurts à Kiev ont été qualifiés de «très préoccupants» par la chef de la diplomatie de l'Union européenne, Federica Mogherini, qui a exigé que le processus de réforme constitutionnelle ne soit pas compromis par la violence.

Berlin a condamné «avec la plus grande fermeté» ces «émeutes sanglantes». A Paris, le ministère des Affaires étrangères a jugé «préoccupant» que des «membres de partis politiques ukrainiens aient participé à ces événements».

Washington a demandé une «enquête approfondie» sur l'origine de ces violences. «Nous respectons pleinement le droit des Ukrainiens à manifester mais dans une société démocratique, les griefs doivent être exprimés de façon pacifique et légale», a déclaré le porte-parole adjoint du Département d'État, Mark Toner.

La Russie s'est quant à elle dite «naturellement préoccupée» face à ce qu'elle a dénoncé comme des violences «inacceptables».

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Un total de 265 députés, pour un minimum requis de 226, ont voté en faveur du projet lors d'une séance houleuse au cours de laquelle des députés opposés à cette réforme ont bloqué l'accès à la tribune parlementaire aux cris de «Honte!».

Le projet octroie davantage de pouvoirs aux conseils régionaux et locaux, notamment ceux situés dans la zone actuellement sous contrôle rebelle. Il autorise également l'organisation d'une «police populaire».

Mais contrairement aux attentes des séparatistes, il ne confirme pas définitivement le statut de semi-autonomie des territoires sous leur contrôle. Selon le texte, ce statut doit être déterminé par une loi séparée et seulement pour une durée de trois ans.

Le projet doit encore être voté en deuxième lecture à une date non fixée, cette fois à une majorité des deux tiers des 450 députés, une barre qui pourrait s'avérer difficile à passer.

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Au moins 90 membres des forces de l'ordre ont été blessés lors de ces heurts avec des manifestants nationalistes, notamment du parti d'extrême droite Svoboda.