La Russie a accusé vendredi Kiev d'avoir recours à des méthodes «totalitaires» en adoptant des lois mémorielles pour «désoviétiser» l'Ukraine, au profit d'une idéologie nationaliste qui, selon elle, va pousser le pays «dans l'abîme».

Les députés ukrainiens ont voté jeudi plusieurs lois mettant sur le même plan les régimes soviétique et nazi et interdisant toute négation publique de leur caractère «criminel» ainsi que la production et l'utilisation publique de leurs symboles.

Le ministère russe des Affaires étrangères a réagi vendredi soir dans un communiqué : «Kiev utilise des méthodes véritablement totalitaires, qui portent atteinte à la liberté de pensée, d'opinion ou de conscience».

«En mettant au même niveau les agresseurs fascistes et les soldats ayant combattu le fascisme (...), les autorités ukrainiennes (...) tentent d'effacer de la mémoire collective des millions d'Ukrainiens», poursuit le communiqué.

Moscou estime que Kiev viole même ses obligations internationales en «glorifiant» les combattants de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) controversée, qui se voient accorder le statut de «combattants pour l'indépendance de l'Ukraine».

L'UPA, qui avait affronté l'Armée rouge, mais aussi collaboré avec les nazis avant de les combattre, est honnie dans l'Est prorusse ainsi qu'en Russie.

Des lois saluées par beaucoup en Ukraine

Aux termes des lois votées jeudi en Ukraine, les monuments à la gloire des responsables soviétiques doivent être démontés, de même que doivent être rebaptisées les localités, rues ou entreprises dont les noms font référence au communisme.

En cas de violation de cette loi, qui doit encore être promulguée par le président Petro Porochenko, les organisations ou partis concernés seront interdits, ce qui remet en cause l'existence du Parti communiste ukrainien.

Les personnes reconnues coupables de production ou diffusion de symboles soviétiques et nazi, en particulier de l'exécution publique de l'hymne soviétique, risqueront jusqu'à dix ans de prison, selon la nouvelle loi.

Beaucoup ont salué en Ukraine le vote des députés, estimant que des lois mémorielles sur les symboles soviétiques auraient dû être adoptées juste après l'indépendance de l'Ukraine de l'URSS en 1991, à l'instar des pays Baltes - d'autres anciennes républiques soviétiques - et de la Pologne, ex-membre du bloc socialiste où des lois similaires existent aussi.

Bien que des monuments soviétiques aient été déboulonnés au moment de la chute du régime soviétique en 1991, comme celui dédié au fondateur de la Tchéka (ancêtre du KGB) Felix Dzerjinski, qui trônait face au siège de l'actuel FSB Place de la Loubianka à Moscou, la Russie n'a pas adopté de lois équivalentes sur l'héritage soviétique. Le président Vladimir Poutine, lui-même ancien officier du KGB, a même réintroduit après son arrivée au pouvoir en 2000 l'ancien hymne soviétique - désormais interdit par l'Ukraine - avec des paroles adaptées.

Au risque d'exacerber les tensions

La Russie, notamment par sa télévision publique - n'a eu de cesse de présenter la nouvelle direction pro-occidentale ukrainienne, portée au pouvoir par un mouvement populaire qui avait chassé il y a un an son protégé Viktor Ianoukovitch, comme majoritairement composée de «fascistes».

Selon Vadim Karassiov, directeur de l'Institut des stratégies globales à Kiev, c'est notamment pour répondre «à la campagne de propagande du Kremlin», que les lois mémorielles ont été adoptées.

Mais d'autres analystes en Ukraine mettent cependant en garde contre les conséquences d'une lecture politique de l'histoire et de l'identité complexe du pays, au moment où il est ravagé par un an de guerre qui a fait plus de 6000 morts dans les régions de l'Est prorusse, dont une bonne partie de la population reste attachée à l'héritage communiste.

«Cette loi est trop radicale. (...) Il y a beaucoup d'excès» qui risquent d'exacerber les «tensions surtout dans l'est et le sud» où la nostalgie pour l'URSS est la plus forte, avertit ainsi l'analyste politique indépendant Volodymyr Fessenko.

C'est «une grosse erreur, voire une manière de signer son arrêt de mort vis-à-vis» de l'Est du pays «où une version tout à fait différente du XXe siècle prévaut», renchérit dans un blogDavid Marples, directeur d'un programme d'études sur l'Ukraine à l'université canadienne d'Alberta.

«Les autorités ukrainiennes ont lancé un processus irréversible qui va aboutir à la désintégration complète du pays», a d'ores et déjà lancé un dirigeant séparatiste de l'Est du pays Alexandre Zakhartchenko, cité par un média local.