En dépit des pourparlers de paix, l'Ukraine cherche à renforcer son armée pour dissuader Vladimir Poutine d'aller plus loin après l'annexion de la Crimée et l'emprise des séparatistes prorusses dans l'Est, estiment des experts ukrainiens.

Le président Petro Porochenko a prévenu dimanche que les soldats déployés dans l'Est devaient se préparer à «passer l'hiver dans les tranchées» et a limogé le ministre de la Défense Valéri Gueleteï. Ce dernier était accusé de revers dans l'opération militaire ayant entraîné de lourdes pertes et scellant la défaite de l'armée face aux rebelles soutenus par les troupes régulières russes.

L'opération «antiterroriste» menée par Kiev depuis la mi-avril contre les séparatistes du Donbass dans l'Est «s'est conclue par une victoire incontestable de ces derniers», a estimé Philippe Migault, directeur de recherche à l'Institut français IRIS.

L'expert militaire ukrainien Valentin Badrak, rappelle que depuis la fin août l'armée ukrainienne, équipée d'armes usagées de troisième génération, affronte «des troupes régulières russes qui sont intervenues soudainement avec des armes modernes de la quatrième génération».

Cette défaite intervient après l'humiliante perte en mars de la Crimée occupée sans combats et annexée en mars à la Russie.

«Nous ne pouvons gagner que par la voie pacifique [...] mais le pays doit être prêt au pire et capable de repousser ceux qui relancent les hostilités», a prévenu Petro Porochenko, à quelques jours d'une rencontre avec Vladimir Poutine à Milan censée consolider le cessez-le-feu conclu le 5 septembre entre Kiev et les séparatistes avec la participation de Moscou.

Le chef de l'État a expliqué le remaniement au ministère de la Défense après celui dans le service des gardes-frontières par la nécessité d'augmenter «la capacité de défense» du pays.

«Un mur contre Poutine»

Le nouveau ministre de la Défense, Stepan Poltorak, est un militaire qui commandait jusqu'à présent la Garde nationale composée principalement de milices du Maïdan, mouvement de contestation qui a renversé en février le président prorusse Viktor Ianoukovitch et détestée en Russie.

C'est le quatrième ministre en neuf mois depuis l'arrivée au pouvoir des pro-occidentaux ce qui illustre les difficultés de cette ex-république soviétique avec son armée rongée par la corruption, mal équipée et mal entraînée.

«Un bon choix», selon l'expert militaire ukrainien Gueorgui Mantchoulenko soulignant que le général Poltorak a réussi à transformer en six mois la Garde nationale d'un «rassemblement de bataillons à une véritable armée».

Il a devant lui une tâche herculéenne: motiver les militaires qui aujourd'hui «armés seulement d'une kalachnikov affrontent des chars pour 3000 hryvnias par mois (environ 260 $), créer des structures militaires dans l'Est et rétablir le contrôle de la frontière», énumère Valentin Badrak.

«Notre but est de montrer à Poutine que nous sommes capables de nous défendre, bâtir un mur politico-psychologique contre lui», souligne l'expert militaire Vadim Gretchaninov, président du Conseil atlantique de l'Ukraine interrogé par l'AFP.

Des spéculations alarmistes circulaient ces dernières semaines sur les intentions de Poutine de conquérir le port stratégique ukrainien de Marioupol pour créer un couloir terrestre entre la Russie et la Crimée voire de vastes régions russophones de l'est et du sud de l'Ukraine.

«Le meilleur moyen de se protéger contre une grande guerre avec la Russie est de se préparer à une telle guerre. Le président Porochenko semble avoir compris la nécessité d'accroître le potentiel militaire de l'Ukraine», souligne Valentin Badrak.

Le Kremlin qui dément toute implication dans le conflit ukrainien a tout fait pour dissimuler les pertes de soldats russes tués dans les combats en Ukraine, mais «Poutine a peur que les mères et les épouses en province ne comprennent ses vraies intentions» en Ukraine, estime Vadim Gretchaninov.

«Il ne prendra pas le risque de faire la guerre contre un pays bien entraîné en sachant que ce sera un bain de sang pour les soldats russes», conclut-il.