Soumise à une forte pression de ses alliés de l'OTAN en raison de la crise en Ukraine, la France a annoncé mercredi la suspension de la livraison prévue en octobre d'un navire de guerre Mistral vendu à la Russie.

Face à la situation dans ce pays, jugée «grave», le président, François Hollande, «a constaté que, malgré la perspective d'un cessez-le-feu qui reste à confirmer et à être mis en oeuvre, les conditions pour que la France autorise la livraison (à la Russie) du premier BPC (Bâtiment de projection et de commandement) ne sont pas à ce jour réunies», a déclaré la présidence dans un communiqué.

«Les actions menées récemment par la Russie dans l'est de l'Ukraine contreviennent aux fondements de la sécurité en Europe», a ajouté la présidence française.

«Le refus à ce contrat ne sera pas une tragédie pour nous en matière de plan de réarmement», a réagi un vice-ministre russe de la Défense, Iouri Borissov, à l'agence officielle Itar-Tass. «C'est bien évidemment désagréable et apporte certaines tensions dans les relations avec nos collègues français», a-t-il dit.

Les États-Unis ont salué une «sage décision», a réagi dans un mail la porte-parole du département d'État, Jennifer Psaki.

La diplomatie américaine n'a pas commenté davantage le geste de Paris, à la veille du sommet de l'OTAN au Pays de Galles.

Les pays baltes se sont également félicités: «une bonne décision, au bon moment», pour le chef de la diplomatie lettone, Edgars Rinkevics, cette décision «correspond aux intérêts de la Lituanie», a déclaré à l'AFP le ministre lituanien de la Défense, Juozas Olekas.

La France a «entendu la pression de la communauté internationale» en pleine crise ukrainienne, a indiqué une source diplomatique française après la publication du communiqué de l'Elysée.

«La décision a été prise en début de semaine. Le contrat est suspendu jusqu'en novembre. C'est à cette date que l'on verra s'il y a des conséquences financières», a précisé cette source, ajoutant que cela «pourrait nous coûter 1 milliard d'euros».

Pour François Heisbourg, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), le report était «inévitable dès lors que le président de la République avait déclaré jeudi dernier devant la Conférence des ambassadeurs que la présence de soldats russes en Ukraine, si elle était avérée, serait "intolérable et inadmissible"».

Ces bâtiments «auraient pu être employés dans des opérations militaires en mer Noire ou en mer Baltique, à proximité de navires de guerre français», a-t-il souligné, interrogé par l'AFP.

«Stupéfaction et scandale» 

La suspension de leur livraison pourrait cependant avoir des répercussions considérables pour l'industrie de défense française et sur l'emploi à Saint-Nazaire (ouest) où les deux bâtiments sont assemblés.

«C'est une réaction de stupéfaction et de scandale», a déclaré à l'AFP Jean-Marc Perez, secrétaire adjoint de Force ouvrière, syndicat minoritaire chez STX, qui sous-traite la construction des deux bâtiments Mistral pour le compte de DCNS.

«Ce seraient des centaines d'emplois qui seraient mis en difficulté aussi bien chez STX que chez les sous-traitants», a-t-il ajouté.

L'Union européenne se prépare à adopter de nouvelles sanctions contre Moscou en raison de l'aggravation de la crise en Ukraine, une évolution qui met en porte-à-faux la France dans sa relation commerciale militaire avec la Russie.

Ces derniers mois, la Grande-Bretagne et les États-Unis, notamment le président, Barack Obama, avaient jugé inopportune la livraison du premier navire de guerre Mistral à Moscou. Le président américain, que rencontrera François Hollande lors du sommet de l'OTAN, avait regretté que Paris n'ait pas choisi de suspendre le contrat controversé.

Mais la France avait rejeté en bloc ces critiques, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, soulignant que «les contrats signés et payés sont honorés». La France n'est toujours pas sortie de la crise économique et la situation de l'emploi y est mauvaise.

Parmi les arguments en faveur d'un maintien d'une livraison des navires Mistral à la Russie figurait celui de la crédibilité de Paris sur les marchés d'exportation d'armes alors qu'une vente d'avions de combat Rafale est espérée en Inde et dans d'autres pays dans le monde.

Le contrat franco-russe, signé en 2011, prévoit la livraison à Moscou de deux navires de classe Mistral (le Vladivostok et le Sébastopol) pour 1,2 milliard d'euros.

Depuis le début de l'été, des marins russes se familiarisent en France avec le «Vladivostok» dans l'ouest du pays. Leur présence sur le sol français est programmée jusqu'à l'automne.

Selon Pascal Boniface, de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), une éventuelle annulation du contrat pourrait coûter à la France en indemnisations jusqu'à 5 milliards d'euros, en plus du 1,2 milliard du contrat.

Pour l'heure, la décision française n'est qu'un gel de la livraison du premier Mistral qui s'apparente davantage à un moyen de pression qu'à une rupture de contrat. D'ici à l'automne, elle peut être revue si l'attitude de la Russie dans la crise ukrainienne change en profondeur.