La passion des soldats russes pour les réseaux sociaux met Moscou dans l'embarras: un militaire russe a posté sur Instagram deux photos affichées comme géolocalisées en Ukraine, et d'autres ont multiplié les commentaires sur internet laissant entendre que leurs unités seraient intervenues contre l'Ukraine en dépit des dénégations officielles.

Alexandre Sotkine, 24 ans, a posté sur Instagram une série de photos géolocalisées dans le village de Volochino, dans le sud de la Russie, où son unité militaire semble être stationnée, avant d'en poster deux autres, le 5 et 6 juillet, géolocalisées à dix kilomètres de là... en Ukraine.

Révélée par le site d'informations américain BuzzFeed, la géolocalisation de ces deux «selfies» - accompagnés des mots clés «armée» et «exercices2014» - pourrait être la preuve que l'armée russe a franchi la frontière russo-ukrainienne, malgré les démentis du Kremlin.

Il est certes possible de falsifier la géolocalisation de photos postées sur le net, mais cela demande des connaissances de codage particulièrement poussées, souligne un informaticien interrogé par l'AFP. Le ministère russe de la Défense s'est refusé pour sa part à tout commentaire.

Dans la légende d'une autre de ses photos, cette fois-ci géolocalisée à Volochino, le soldat Sotkine raconte avoir passé la journée «assis, à travailler sur le 'Bouk', à écouter de la musique».

Pour BuzzFeed, cela implique que les unités militaires russes postées à la frontière russo-ukrainienne avaient en leur possession des missiles sol-air Bouk quelques jours avant que ne soit abattu, vraisemblablement par un de ces missiles selon l'Occident, un avion de la Malaysia Airlines dans l'est de l'Ukraine.

Mais le mot «Bouk» pourrait aussi être l'abréviation russe de «notebook», et le soldat Sotkine pourrait avoir en réalité passé la journée à travailler sur son ordinateur plutôt que sur un missile.

D'autres soldats russes ont aussi publié le mois dernier sur le réseau social russe Vkontakte des photos de leurs activités, cette fois sans géolocalisation, mais dont les légendes laissent penser que la Russie a tiré sur des positions ukrainiennes, comme l'affirment Washington et Kiev.

«On a tiré toute la nuit sur l'Ukraine», écrit ainsi le 23 juillet le soldat Vadim Grigoriev, en-dessous d'une photo montrant une demi-douzaine d'obus, avant de publier une autre photo où deux canons d'artillerie sont stationnés à la lisière de champs de blé.

«Ce sont des photos qui ont été prises il y a longtemps. Il est probable qu'on a piraté ma page sur Vkontakte», a assuré dès le lendemain, à la chaîne d'informations pro-Kremlin Rossiya24, le soldat dont le compte a été depuis supprimé.

Quelques jours plus tôt, sur le même réseau social, un autre soldat, Mikhail Chougounov, poste deux photos de lance-roquettes multiples Grad, avec pour légende «Des Grad en direction de l'Ukraine». Et un autre soldat va jusqu'à publier la carte de l'itinéraire de son unité vers la frontière russo-ukrainienne.

«Crâner devant leurs petites amies» 

«Ces soldats racontent n'importe quoi, qu'ils sont en Ukraine par exemple, juste pour crâner auprès de leurs petites amies», assure à l'AFP le député communiste Vadim Soloviev.

Le parlementaire, à l'origine d'un projet de loi pour une limitation de l'utilisation d'internet par les soldats russes, estime que ces publications sont un «danger pour la Russie: elles peuvent être utilisées par les Occidentaux à des fins d'espionnage ou de désinformation».

«Lorsqu'ils s'engagent dans l'armée, les soldats devraient être soumis à des règles de confidentialité - et s'ils les violent, ils devraient en répondre en conseil de discipline», exige le député.

Pour l'expert en questions militaires Alexandre Golts, rédacteur en chef adjoint du site d'informations Ej.ru., «il est difficile de comprendre comment cette loi pourrait s'appliquer, puisqu'elle va engager la responsabilité des chefs si des informations sont malgré tout publiées par les soldats. Ils vont donc certainement couper Internet - c'est plus simple et efficace.»

Mais, ajoute l'expert à l'AFP, «on comprend pourquoi cette loi est d'actualité: après tout, c'est grâce à des photos postées par des soldats que le monde entier a su que des forces spéciales russes étaient présentes en Crimée».

De mystérieux hommes en treillis verts, dépourvus de tout signe distinctif, avaient fait leur apparition début mars dans la péninsule ukrainienne, quelques jours avant son rattachement à la Russie.

Les photos de ces soldats ont poussé le député Soloviev, de son propre aveu, à relancer sa proposition de loi déposée initialement en décembre dernier. «C'est exactement ce scénario (de diffusion de photos sur internet) que la Russie souhaite empêcher», estime M. Golts.