Un Boeing 777 de Malaysia Airlines a été abattu par un missile sol-air dans l'est de l'Ukraine hier après-midi. Aucune des 298 personnes à bord de l'appareil n'a survécu à la tragédie.

Les 283 passagers et 15 membres de l'équipage du vol 17 de Malaysia Airlines sont morts, hier, dans l'est de l'Ukraine, quand l'appareil Boeing 777 dans lequel ils se trouvaient a été atteint par un missile et a explosé en vol avant de s'écraser dans une région contrôlée par les rebelles prorusses.

«L'avion volait normalement sans problème à une altitude de 10 kilomètres jusqu'au moment où il a disparu des écrans radars», a signalé le ministère de l'Intérieur ukrainien. Hier soir, le Wall Street Journal a obtenu la confirmation des services de renseignements américains qu'un missile sol-air avait provoqué l'explosion de l'appareil. L'origine du missile demeure inconnue.

Malaysia Airlines a signalé dans un bilan préliminaire que 154 Néerlandais, 27 Australiens, 23 Malaysiens et 6 Britanniques ont péri dans la tragédie. Le gouvernement néerlandais a rapporté hier soir qu'un Canadien était mort à bord de l'avion. «Beaucoup» des passagers étaient en route pour la conférence mondiale sur le sida qui démarre ce week-end à Melbourne, a indiqué hier le directeur d'ONUSIDA, Michel Sidibe.

Le président de l'Ukraine, Petro Porochenko, a signalé que son gouvernement ne considérait pas la tragédie comme un accident, «mais bien [comme] un acte terroriste». Elle s'est produite peu après 16h, près de la ville de Torez, à l'est de Donetsk, près de la frontière russe. Des rebelles prorusses ont annoncé qu'ils avaient retrouvé la boîte noire de l'appareil et qu'ils comptent l'envoyer à Moscou.

«C'est une catastrophe, il n'y a pas d'autre mot, a expliqué en entrevue téléphonique Dominique Arel, spécialiste de l'Ukraine à l'Université d'Ottawa, hier. C'est difficile de comprendre la logique derrière cela, tant du côté des rebelles que du côté de la Russie. Les cibles militaires, c'est une chose, mais tirer sur un avion civil? Ça n'a pas de rapport avec le conflit.»

En soirée, le président russe Vladimir Poutine a déclaré par voie de communiqué que la responsabilité pour la tragédie incombait «au pays où elle s'est produite».

«Ce désastre aérien ne se serait pas produit si Kiev n'avait pas relancé ses opérations militaires dans l'est de l'Ukraine», a-t-il signalé.

Appel à une enquête internationale

Le président américain Barack Obama a appelé hier à une enquête «rapide» et «sans entraves» lors d'une conversation téléphonique avec le premier ministre néerlandais Mark Rutte, assurant que Washington était prêt à fournir «de l'aide immédiate en faveur d'une enquête internationale rapide, complète, crédible et sans entraves», a indiqué la Maison-Blanche dans un communiqué.

Le président Obama et le premier ministre Rutte «sont tombés d'accord sur le besoin d'assurer un accès immédiat aux lieux de l'accident pour les enquêteurs internationaux afin de faciliter la découverte des dépouilles et mener une enquête minutieuse», ajoute le communiqué.

M. Obama avait appelé plus tôt le président ukrainien Petro Porochenko et les deux hommes avaient souligné que «toutes les preuves sur les lieux du crash» devaient rester en place jusqu'à ce que les enquêteurs internationaux «soient en mesure d'examiner tous les aspects de cette tragédie».

Les autorités ukrainiennes et les forces prorusses de l'est du pays se sont mutuellement accusées d'être à l'origine de l'attaque contre l'avion de ligne, hier.

Yuriy Sergeyev, représentant permanent de l'Ukraine aux Nations unies, a annoncé que son pays comptait rendre publiques les preuves indiquant que les forces armées russes étaient impliquées dans l'écrasement du vol 17. «Ce crime devrait faire l'objet d'une enquête exhaustive», a-t-il noté. Une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU est prévue aujourd'hui à ce sujet.

En fin de journée, le quotidien Kiev Post a diffusé un enregistrement téléphonique intercepté par les Services de sécurité ukrainiens. On y entend un officier du renseignement russe du nom d'Igor Bezler, qui serait le chef des opérations des forces prorusses en Ukraine, en conversation avec Vasili Geranin, un colonel de l'armée russe, selon le quotidien.

Selon ces bandes audio, ce sont des militants cosaques appuyés par la Russie, postés dans le village de Chornukhine, qui auraient abattu l'avion, croyant qu'il s'agissait d'un avion militaire.

Avions militaires abattus

Plus tôt cette semaine, des avions militaires ukrainiens AN-26 et SU-25 ont été abattus par des tirs dans l'est de l'Ukraine.

Dominique Arel signale avoir pris connaissance de ces événements. «Des vidéos de ces attaques circulent, et des analystes indépendants ont déterminé, en utilisant la technologie Google Earth, que le paysage dans ces vidéos suggérait que des missiles Grad avait été tirés depuis le territoire russe, à 10 kilomètres de la frontière.» Moscou nie toute responsabilité à ce sujet.

Noah Sneider, un journaliste indépendant américain qui s'est rendu sur le lieu de l'écrasement hier, a écrit sur Twitter que des témoins avaient vu l'avion exploser en vol.

«Des résidants locaux disent que tout a explosé dans les airs, puis que tout est tombé au sol en même temps, à la fois les corps et les morceaux de l'avion. Les gens pensaient qu'ils se faisaient bombarder.»

Hier, le président Obama s'est entretenu au téléphone avec le président Poutine. La question de l'avion de la Malaysia Airlines a été abordée, selon les notes rendues publiques par la Maison-Blanche.

Durant l'appel, le président américain a fait part de «l'abondance de preuves montrant que la Russie augmente de façon significative ses envois d'armes lourdes aux séparatistes» prorusses actifs dans l'est de l'Ukraine.

Plus tôt hier, Igor Strelkov, le ministre de la Défense des rebelles séparatistes prorusses, avait revendiqué une attaque de missiles sol-air ayant abattu un avion qu'il croyait être ukrainien.

«Près de Torez, nous venons d'abattre un avion AN-26 qui s'est écrasé quelque part non loin de la mine de charbon Progrès. Nous les avions avertis - ne volez pas dans notre espace aérien. Voici une vidéo qui confirme notre plus récente "chasse à l'oiseau". L'oiseau est tombé dans un secteur non habité et les civils n'ont pas été blessés.»

La vidéo jointe à son billet montre une colonne de fumée noire qui s'élève au-dessus d'un champ, des images qui ont par la suite été confirmées comme étant celles du lieu où la carlingue du vol de la Malaysia Airlines s'est écrasée. Le billet a été effacé durant la journée.

Chose certaine, ceux qui s'attendent à un éventuel mea-culpa en provenance de Moscou, largement considéré comme étant la force derrière l'insurrection armée dans l'est de l'Ukraine, seront déçus, explique en entrevue Philip J. Crowley, chercheur à I'Institut de diplomatie publique de l'Université George Washington.

«Moscou n'a pas encore reconnu que la Syrie a utilisé des armes de destruction massive l'automne dernier. Je ne m'attends pas à ce qu'ils disent "Désolés, c'est de notre faute."»

- Avec l'Agence France-Presse

Le vol MH17 frôlait la zone d'exclusion aérienne

Abattre en plein vol un avion commercial bondé de civils est un acte rare qui n'est pas à la portée de tous. Quelques cas sont survenus depuis la Deuxième Guerre mondiale, et ils soulèvent chaque fois une myriade de questions. L'attentat survenu hier contre le vol MH17 ne fait pas exception.

Cette fois, c'est la zone d'exclusion aérienne décrétée par les autorités ukrainiennes cette semaine qui se retrouve au centre de l'attention. Selon le Wall Street Journal, l'Ukraine a décrété lundi une zone d'exclusion aérienne de 32 000 pieds (environ 10 000 mètres) au-dessus des régions contestées de l'est de l'Ukraine. Or, selon les autorités ukrainiennes, le vol MH17 volait à 33 000 pieds d'altitude lorsqu'il a été abattu.

Les experts s'interrogent sur la pertinence d'étendre la zone d'exclusion à une altitude aussi élevée. Pierre Jeanniot, ancien directeur général de l'Association internationale du transport aérien, explique qu'il est très rare que les conflits armés freinent le passage des vols commerciaux.

«Il y a un bon nombre de conflits actuellement sur la planète, mais ce sont des conflits locaux, à fleur de terre, qui n'affectent pas les vols commerciaux, dit M. Jeanniot. «Pour les vols commerciaux, à 10 000 mètres d'altitude, ça n'a aucune influence», explique-t-il.

Des experts européens et américains cités par le Wall Street Journal ont dit ne pas comprendre la décision de l'Ukraine d'étendre sa zone d'exclusion à une altitude si élevée, rendant tout vol commercial qui s'en approchait suspect. Étrangement, il semble aussi que c'était la première fois ce mois-ci que le vol MH17 assurant la liaison Amsterdam et Kuala Lumpur traversait la zone d'exclusion. Les 16 autres vols qui ont eu lieu précédemment en juillet ont passé au sud de la zone. Il reste à déterminer pourquoi celui d'hier a volé plus au nord pour s'y aventurer.

- Philippe Mercure avec le Wall Street Journal

Qui est derrière l'attaque du vol de Malaysia Airlines?

Les forces prorusses sont au centre des hypothèses de plusieurs spécialistes, qui tentent d'expliquer l'explosion en plein vol de l'avion de Malaysia Airlines.

Philip J. Crowley, chercheur à I'Institut de diplomatie publique de l'Université George Washington, note que les séparatistes prorusses sont les principaux suspects puisqu'ils ont tout récemment abattu des avions militaires dans la région.

«Si on regarde l'évolution du conflit, on voit que c'est une méthode qu'ils ont adoptée, essayer d'atteindre des avions. C'est ce qu'ils ont fait récemment. Le scénario préliminaire ici est qu'ils croyaient que cet avion était un avion militaire ukrainien et ils l'ont abattu. Si c'était le cas, ça place la responsabilité sur les épaules des séparatistes.»

Toutefois, il faudra attendre quelques jours d'avoir une réponse satisfaisante, dit-il en entrevue avec La Presse. «Les citoyens de plusieurs pays étaient à bord de cet avion. Ils vont demander des réponses et ils ont le droit de recevoir ces réponses. Les réponses vont arriver. La tragédie est survenue dans un endroit extrêmement surveillé. Or, va-t-on savoir qui avait le doigt sur la gâchette? Peut-être, peut-être pas.»

Pour Dominique Arel, spécialiste de l'Ukraine à l'Université d'Ottawa, l'hypothèse la plus plausible pour expliquer l'explosion du vol 17 est celle d'une méprise des forces prorusses. «L'hypothèse que je vois, c'est qu'ils ont fait une erreur: ils pensaient tirer sur un avion militaire ukrainien, mais ce n'était pas un avion militaire. Ça pourrait sembler être la seule logique.»

M. Arel souligne qu'il n'a aucune raison de mettre en doute la version des faits du gouvernement ukrainien, qui dit n'avoir pas mené d'opération militaire dans la région.

«Les seuls avions qui circulent sur le territoire ukrainien sont soit des avions de chasse ukrainiens, soit des avions de vols civils internationaux. L'Ukraine n'a évidemment aucun intérêt à tirer sur l'un où sur l'autre», note-t-il.

M. Arel note aussi que l'Ukraine a dit plus tôt cette semaine qu'un de ses avions de chasse a été abattu par un avion de chasse russe, ce qui représente une escalade du conflit.

«Ce serait la première fois qu'un avion russe prendrait part au conflit plutôt que des missiles au sol», relève-t-il.

- Nicolas Bérubé