Le président russe Vladimir Poutine a annoncé vendredi qu'il respecterait le «choix du peuple ukrainien» et travaillerait avec le chef de l'État élu, un geste d'apaisement avant le scrutin de dimanche, rejeté par les séparatistes prorusses de l'Est.

Sur le «front de l'Est», les combats se poursuivaient vendredi au lendemain d'une journée noire pour l'armée ukrainienne qui a essuyé ses pires pertes depuis le début le 13 avril de l'opération militaire destinée à reprendre le contrôle des régions de Donetsk et de Lougansk avec la mort de 18 soldats.

Vendredi matin, sept combattants, a priori quatre insurgés prorusses et trois volontaires d'un de ces «bataillons» d'appui à l'armée ukrainienne, ont péri dans des affrontements près du village de Karlivka, sur la route permettant l'accès au nord-ouest de Donetsk, selon des journalistes de l'AFP sur place.

La ville de Slaviansk, bastion symbole du séparatisme prorusse, a également connu des combats à l'approche d'un scrutin crucial pour l'avenir de l'Ukraine, après six mois d'une crise politique qui a plongé ce pays au bord de la guerre civile et de la partition et a déclenché la pire crise diplomatique entre Russes et Occidentaux depuis la fin de la Guerre froide.

«Le modèle d'un monde unipolaire a échoué»

Le président Poutine a déclaré que le «modèle d'un monde unipolaire» avait «échoué», visant sans les nommer les Occidentaux après l'effondrement de l'URSS et la fin de la Guerre froide.

«Le modèle d'un monde unipolaire a échoué. Chacun le voit bien aujourd'hui, même ceux qui tentent d'agir à la manière habituelle, de garder le monopole, de dicter leurs règles du jeu en politique, dans le commerce, les finances, d'imposer des normes culturelles et comportementales», a déclaré M. Poutine lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg.

À Saint-Pétersbourg, le maître du Kremlin a soigneusement choisi ses mots pour signifier qu'il respecterait le «choix» dans les urnes du peuple ukrainien, sans pour autant dire qu'il reconnaîtrait le président ou que le cinquième président serait légitime.

«En principe, en vertu de la Constitution, il ne peut y avoir d'élection, car le président (Viktor) Ianoukovitch (...) est le président en exercice», a déclaré M. Poutine au cours du Forum économique organisé dans l'ancienne cité impériale sur les bords de la Baltique.

Mais «nous voulons nous aussi qu'en fin de compte le calme revienne (en Ukraine), nous allons respecter le choix du peuple ukrainien», a-t-il ajouté, assurant que Moscou «travaillerait avec les nouvelles autorités».

Il a une fois de plus dénoncé un «coup d'État», soutenu par «nos amis américains», évoquant ainsi le mouvement de contestation de Maïdan qui a conduit fin février à la fuite de Viktor Ianoukovitch en Russie. «Au final, c'est le chaos et une véritable guerre civile», a-t-il déploré, faisant allusion aux combats entre soldats ukrainiens et séparatistes. Ces affrontements ont fait plus de 150 morts - soldats, séparatistes, civils - selon un comptage à minima de l'AFP à partir de données de l'ONU, des responsables officiels ukrainiens et de constatations de journalistes de l'AFP.

À Kiev, les violences ont terni la fin de la campagne électorale qui s'achève vendredi à minuit. Le favori du scrutin, le milliardaire pro-occidental Petro Porochenko, a annulé son dernier rassemblement dans la capitale «en raison de la tragédie», la mort de 18 soldats jeudi, a fait savoir son équipe de campagne.

Dans une courte allocution télévisée, le président par intérim, Olexandre Tourtchinov, a appelé «chacun» des Ukrainiens à se rendre aux urnes dimanche pour donner «un pouvoir légitime» à leur pays. «Nous ne nous laisserons pas être privés de notre liberté et de notre indépendance, et nous ne laisserons pas l'Ukraine devenir un morceau de l'empire post-soviétique», a martelé M. Tourtchinov, assurant que les autorités avaient fait «tout leur possible» pour que le scrutin ait lieu.

D'après un dernier sondage, Petro Porochenko, conforte son avance avec plus de 44 % des intentions de vote, devançant l'ancienne première ministre et icône de la révolution de 2004, Ioulia Timochenko (8 %). L'homme d'affaires, qui promet de gérer l'Ukraine comme il gère sa très prospère entreprise de chocolats Roshen, n'est pas assuré d'être élu au premier tour et devra peut-être patienter jusqu'à un hypothétique second tour le 15 juin pour devenir le cinquième président de l'Ukraine indépendante.

La campagne électorale n'a pas déchaîné les passions et a été monopolisée par la peur d'une invasion de l'Ukraine par les soldats russes - 40 000, selon l'OTAN - massés le long de la frontière.

L'Alliance atlantique a annoncé observer des mouvements qui «pourraient suggérer» un retrait partiel des troupes. Moscou affirme pour sa part avoir expédié vers leurs lieux de garnison quatre convois ferroviaires de blindés et d'armements, et 15 avions transportant des soldats, dans le cadre de son retrait.

Des «problèmes» pour organiser le scrutin

Pour assurer le bon déroulement de la présidentielle au cours de laquelle 36 millions d'électeurs sont appelés à voter, Kiev a déployé 55 000 policiers et 20 000 volontaires. Les séparatistes ont promis pour leur part d'empêcher le déroulement du scrutin dans l'Est, où près de deux millions d'électeurs pourraient éprouver des difficultés à voter.

Selon les dernières données de la Commission électorale, plus de la moitié (18 sur 34) des commissions électorales des régions de Donetsk et de Lougansk ne peuvent pas fonctionner.

Le chef du Conseil de sécurité nationale et de défense, Andriï Paroubiï, a reconnu à l'avance qu'il y aurait «des problèmes» dans l'organisation de l'élection à Donetsk, Lougansk et Slaviansk.

Sur la scène internationale, la chancelière allemande Angela Merkel, qui considère le scrutin comme une étape majeure pour stabiliser l'Ukraine, a demandé à Vladimir Poutine de reconnaître l'évaluation de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et de son millier d'observateurs internationaux sur l'élection.

«J'attends de la Russie qu'elle respecte l'évaluation sans aucun doute objective de l'OSCE» sur le bon déroulement du scrutin, a-t-elle déclaré au quotidien régional Saarbrücker Zeitung de vendredi. «La Russie appartient elle-même à cette organisation».