Les Américains ont menacé jeudi de «saigner» l'économie russe déjà mal en point à coups de nouvelles sanctions si la Russie cherchait à empêcher la tenue en Ukraine du scrutin présidentiel du 25 mai, crucial pour l'avenir du pays.

Le chef de la diplomatie polonaise Radoslaw Sikorski, dont le pays n'a pas caché cette semaine son inquiétude, est attendu vendredi à Kiev, où il doit rencontrer le président par intérim, Olexandre Tourtchinov.

La Pologne, pays voisin de l'Ukraine, a mis en garde mardi contre un «démembrement» et «une chute» de cet État si l'élection présidentielle prévue dans moins de dix jours ne se tient pas normalement.

Les menaces des Occidentaux interviennent alors que les affrontements entre l'armée ukrainienne et les séparatistes armés se multiplient dans l'est de l'Ukraine près d'un mois après le lancement d'une opération «antiterroriste» qui visait à rétablir le contrôle de Kiev sur les régions sécessionnistes.

Dans ce contexte de tensions accrues, un navire de reconnaissance français est entré jeudi dans la Mer Noire, renforçant la présence internationale dans la région, a indiqué à l'AFP une source diplomatique.

Sur le terrain, les insurgés pro-russes continuent d'étendre leur contrôle, comme à Antratsyt, dans la région de Lougansk, où une mairie de quartier est tombée jeudi aux mains de dizaines d'insurgés armés, selon un journaliste de l'AFP sur place.

La Banque centrale ukrainienne a annoncé la fermeture de sa branche dans la région de Donetsk et évacué le personnel après des menaces des séparatistes.

Contrôlée en grande partie par les insurgés armés pro-russes, la région de Donetsk avec celle voisine de Lougansk ont proclamé leur «souveraineté» à l'issue d'un référendum séparatiste dimanche dénoncé comme «illégal» par Kiev et les Occidentaux.

Dans la région de Slavyansk, l'armée ukrainienne a installé des postes de contrôle appuyés par des chars, des hélicoptères et des équipements de défense anti-aérienne afin d'isoler la ville de Slavyansk toujours sous le contrôle des insurgés pro-russes.

Signe que la région échappe de plus en plus au contrôle de Kiev, seulement un tiers des électeurs y sont prêts à participer à la présidentielle, selon les derniers sondages.

«Scalpel et saignement»

À Londres, un responsable américain a évoqué la possibilité de nouvelles sanctions économiques contre Moscou. Les premières séries de sanctions économiques prises par Washington et Bruxelles contre Moscou visaient «à faire usage du scalpel plutôt que du marteau», a déclaré ce responsable sous couvert d'anonymat.

Mais «nous pouvons faire beaucoup de choses pour créer ce saignement», a-t-il ajouté après une rencontre à Londres entre le secrétaire d'État américain John Kerry et ses homologues britannique, français, allemand et italien.

Américains et Européens travaillent à «envoyer un message aux séparatistes pro-russes et à Moscou pour leur dire que toute tentative d'empêcher les élections provoquera une nouvelle série de dommages pour la Russie, y compris des sanctions par secteur» économique, a prévenu ce haut responsable, rappelant les «vulnérabilités» de l'économie russe.

Plus conciliante, la chancelière Angela Merkel a souligné dans un entretien à paraître vendredi qu'à «moyen et long termes», «la coopération étroite avec la Russie» devait se poursuivre mais qu'elle avait besoin «d'un minimum de valeurs communes».

«Pression brutale» russe

Depuis le début de la crise ukrainienne, qui a accouché de la pire confrontation entre l'Occident et la Russie depuis la chute de l'URSS en 1991, Washington et Bruxelles ont pris des sanctions diplomatiques et économiques sans précédent contre des sociétés russes et des dizaines de personnalités russes.

La présidentielle du 25 mai, convoquée après la destitution en février de Viktor Ianoukovitch, est jugée «cruciale» par les Occidentaux pour sortir de la crise.

La Russie en a longtemps rejeté le principe avant que le maître du Kremlin, Vladimir Poutine, adoucisse le ton estimant que le scrutin pourrait effectivement aller «dans le bon sens».

La Russie prévoit toutefois des manoeuvres aériennes près des frontières ukrainiennes le jour de la présidentielle dénoncées par Kiev comme «une forme de pression brutale».

Ces exercices «témoignent que la Russie continue de mettre en oeuvre un scénario de déstabilisation», a indiqué le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué.

À dix jours du scrutin, les sondages donnent toujours le milliardaire pro-occidental Petro Porochenko grand favori avec plus de 33% des intentions de vote, loin devant Ioulia Timochenko l'ancienne égérie de la Révolution orange de 2004 (5,9%) et le pro-russe Serguiï Tiguipko (4,1%).

Table ronde et dialogue en rond

Mercredi, les autorités ukrainiennes s'étaient frottées au difficile exercice de la «table ronde» visant à discuter de l'unité du pays. Deux anciens présidents ukrainiens, des candidats à la présidentielle et des parlementaires, y compris pro-russes, participaient à cette conférence. Mais aucun séparatiste de l'Est n'était présent malgré les appels répétés de Moscou.

Lors de la «table ronde», le président ukrainien par intérim, Olexandre Tourtchinov, a assuré que l'Ukraine était «prête» à écouter les gens de l'Est, mais qu'elle refusait de céder au «chantage» des insurgés armés qui «imposent la volonté» de la Russie.

Le gouvernement a annoncé qu'une série de nouvelles tables rondes allaient se tenir «dans les régions», mais l'incapacité des participants, pourtant tous officiellement partisans de l'unité du pays, à se parler augure de lendemains difficiles.

Dans son bras de fer avec l'Ukraine et  l'Europe, avec une arme, le gaz, qu'il affectionne particulièrement, Vladimir Poutine a déclaré jeudi n'avoir reçu aucune «proposition concrète» de l'Union européenne concernant les paiements de l'Ukraine pour les livraisons de gaz russe.

Moscou a menacé de couper les approvisionnements vers l'Ukraine dès le 3 juin si celle-ci ne réglait pas à l'avance sa facture pour juin, qui s'établit à 1,66 milliard de dollars, au risque de perturber les livraisons vers l'Union européenne comme lors des «guerres du gaz» de 2006 et 2009.

L'Union européenne a jugé jeudi «infondées» ces dernières critiques du président Poutine.