L'Ukraine a lancé vendredi une opération militaire sur le bastion séparatiste pro-russe de Slaviansk, perdant deux soldats et s'attirant une réponse menaçante de la Russie, qui a dénoncé «une guerre contre le peuple» ukrainien et en a appelé à l'ONU.

Lancée aux petites heures de la matinée (21 h 30 vendredi au Québec) à Slaviansk et Kramatorsk, l'opération s'est dans la journée figée en un face-à-face, selon des correspondants de l'AFP présents sur place.

«Les criminels ont essuyé de lourdes pertes: beaucoup de morts et de blessés, de nombreux prisonniers. Malheureusement, nous avons des informations sur deux morts et sept blessés parmi nos soldats», a déclaré le président ukrainien par intérim Olexandre Tourtchinov dans une adresse télévisée à la nation dans l'après-midi.

Selon le ministère de l'Intérieur, l'armée a pris le contrôle de neuf check-points qui étaient auparavant aux mains des rebelles. Dans les villages autour de Slaviansk, les militaires ukrainiens ont parfois été accueillis avec hostilité par la population locale qui leur a crié de «rentrer chez eux» et a tenté de bloquer les routes à leurs blindés.

«Vos mères veulent que vous rentriez chez vous vivants et sans le sang du peuple sur vos mains», a hurlé une habitante, Valentina Leonteïeva, à l'adresse des soldats.

Les autorités ukrainiennes exigent des «terroristes» pro-russes qu'ils «libèrent les otages, déposent leurs armes et quittent les bâtiments», a déclaré le ministre ukrainien de l'Intérieur, Arsen Avakov.

La Russie, que Kiev et l'Occident accusent de téléguider le mouvement pro-russe, a vivement réagi à l'annonce de l'opération militaire, qu'elle a qualifiée de «raid de représailles» et de «coup de grâce à l'accord de Genève» péniblement conclu à la mi-avril entre Moscou, Kiev et les Occidentaux.

«Le recours à la force dans le Sud-Est de l'Ukraine est un signe d'impuissance criminelle de la part des autorités de facto de Kiev», s'est indigné le premier ministre russe Dmitri Medvedev sur sa page Facebook.

«Les autorités (...) doivent revenir à la raison et mettre fin au meurtre de leurs propres citoyens. Sinon, le pays pourra connaître un bien triste destin», a-t-il ajouté, estimant que «la responsabilité de la guerre contre son propre peuple revient à ceux qui prennent des décisions à Kiev».

La Russie a réclamé une réunion du Conseil de sécurité, qui aura lieu vendredi à partir de midi, heure locale (16 h GMT), a annoncé l'ONU. Elle a motivé sa demande par «la grave escalade de la violence dans l'est de l'Ukraine», selon ses diplomates.

La Russie a parallèlement accru sa pression sur Kiev en signalant au cours d'une réunion à Varsovie qu'elle pourrait réduire ses livraisons de gaz à l'Ukraine faute de prépaiement d'ici à la fin mai.

La libération des membres de l'OSCE «retardée» 

Slaviansk fait partie de la douzaine de villes de l'Est ukrainien actuellement sous le contrôle des séparatistes pro-russes mais la situation y est particulièrement sensible en raison de la présence dans la ville d'une équipe d'observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), retenus sur place par les rebelles depuis une semaine.

«Cette attaque à Slaviansk va retarder la libération des membres de l'OSCE. La décision de les libérer n'a pas encore été prise», a estimé Denis Pouchiline, leader des séparatistes à Donetsk, la capitale régionale.

Les négociations pour obtenir la libération des 11 hommes (sept étrangers et quatre Ukrainiens) se trouvent dans «une phase très sensible», a averti vendredi à Berne le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier.

Le Kremlin, pressé par les Occidentaux ces derniers jours d'intervenir en leur faveur, a annoncé vendredi avoir dépêché il y a plusieurs jours déjà un émissaire, Vladimir Loukine, pour participer aux négociations sur leur sort.

La situation en Ukraine et le sort des observateurs de l'OSCE doivent aussi figurer au menu vendredi d'une série de rencontres, notamment entre le président des États-Unis Barack Obama et la chancelière allemande Angela Merkel.

Appel aux hommes de Slaviansk 

À Slaviansk même, la population, qui s'est réveillée au son du canon et du tocsin, a entrepris de se préparer, érigeant des barricades de fortune dans les rues. Des membres des groupes d'«autodéfense» en tenue de camouflage se sont déployés près de la mairie autour de deux blindés légers pris le mois dernier aux forces ukrainiennes.

Le maire autoproclamé de Slaviansk, le chef rebelle Viatcheslav Ponomarev, a demandé dans un message vidéo aux «femmes, enfants et retraités de ne pas sortir de chez eux» et à «tous les hommes armés d'aider» les insurgés.

«Notre ville a été attaquée, l'assaut a été lancé contre la ville, nous avons subi des pertes», a-t-il dit sans plus de détails. «Nous allons défendre la ville, nous allons gagner», a-t-il lancé, apparaissant habillé en tenue de camouflage et portant un gilet pare-balles et une casquette.

Trois équipes de journalistes occidentaux (les chaînes de télévision CBS et Sky News et le site Buzzfeed) ont de leur côté indiqué avoir été retenus pendant plusieurs heures vendredi à Slaviansk par des rebelles aux nerfs à fleur de peau, qui en ont malmené certains avant de les relâcher.

Les rebelles pro-russes, hostiles au pouvoir mis en place à Kiev après le renversement du président Viktor Ianoukovitch, avaient nettement étendu leur emprise ces derniers jours, sans rencontrer beaucoup de résistance de la part des forces de l'ordre ukrainiennes.

Ils contrôlent désormais des sites stratégiques (mairie, siège de la police et des services de sécurité) dans plus d'une douzaine de villes.

Les troubles ont aussi pris vendredi une ampleur inédite jusqu'ici dans la ville portuaire d'Odessa, où une manifestation en faveur de l'unité de l'Ukraine a été violemment attaquée par des militants pro-russes, se soldant par 31 morts et une cinquantaine de blessés.

Otages: les négociations dans une phase «très sensible»

Les négociations menées en vue de la libération des sept otages, observateurs de l'OSCE, à Slaviansk (Ukraine), sont dans «une phase très sensible», a déclaré vendredi à Berne le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier.

S'exprimant à l'issue d'une rencontre avec son homologue suisse Didier Burkhalter, actuellement président de l'OSCE, M. Steinmeier a déclaré que du «fait de la phase très sensible des négociations en cours», il ne peut donner davantage d'informations sur l'évolution de la situation.

De son côté, M. Burkhalter a indiqué que cet entretien avait permis de réitérer les objectifs de l'OSCE et de l'Allemagne, dont quatre ressortissants font partie des otages, soit «leur libération sans aucune condition».

M. Burkhalter a également indiqué que les négociations étaient dans une phase «très sensible».

«Nous nous parlons au téléphone au moins une fois par jour en ce moment», a encore indiqué M. Steinmeier, faisant référence à son homologue suisse, au cours d'un point presse improvisé après cette rencontre bilatérale.

M. Steinmeier a encore estimé que la crise actuelle en Ukraine était un «très grand défi pour tout le monde», et que les événements de vendredi matin en Ukraine étaient la preuve que «la violence n'est pas encore finie».

En tant que président en exercice de l'OSCE, M. Burkhalter a aussi annoncé une nouvelle étape des efforts de l'organisation pour parvenir à une solution de la crise ukrainienne.

Des contacts sont en train d'être pris au plus haut niveau à cet effet, a-t-il précisé.

Les victimes des enlèvements sont des experts militaires se trouvant dans la région de Donetsk pour des visites d'inspection effectuées sur l'invitation de l'Ukraine, dans le cadre des accords de l'OSCE sur les mesures de confiance et de sécurité.

Les visites d'inspection de ces experts, convenues sur un plan bilatéral, n'ont aucun lien avec la Mission d'observation de l'OSCE en Ukraine, qui compte actuellement 150 observateurs civils, a indiqué la Confédération suisse dans un communiqué publié après l'entretien entre MM. Steinmeier et Burkhalter.

Au total, douze hommes -huit étrangers et quatre Ukrainiens- ont été pris en otage il y a une semaine par les séparatistes, qui les ont qualifiés de «prisonniers de guerre».

Ces séparatistes veulent les échanger contre d'autres personnes détenues par les autorités ukrainiennes.

L'un de ces huit otages, un Suédois, a été libéré dimanche dernier pour raisons de santé et a quitté son lieu de détention, la mairie de Slaviansk (est).

Cependant, quatre Allemands, un Polonais, un Danois et un Tchèque sont toujours retenus.