Le vice-président américain Joe Biden doit rencontrer mardi les nouvelles autorités de Kiev, au lendemain d'appels réciproques de Washington et Moscou à faire appliquer l'accord de Genève censé mettre fin à la crise dans l'est de l'Ukraine, en proie à une insurrection séparatiste.

Venu apporter son soutien aux autorités ukrainiennes pro-occidentales, M. Biden est le premier haut responsable américain à se rendre dans ce pays depuis la visite du secrétaire d'État John Kerry le 4 mars.

Il doit rencontrer mardi en début de matinée le président par intérim Olexandre Tourtchinov puis en milieu de journée le Premier ministre Arseni Iatseniouk.

Selon un haut responsable américain accompagnant le vice-président, M. Biden compte insister sur la nécessité de maintenir «l'unité nationale» et appeler à «une mise en oeuvre urgente» du compromis signé jeudi entre l'Ukraine, la Russie, les États-Unis et l'Union européenne. Il abordera également avec ses interlocuteurs les étapes en vue d'une stabilisation économique de l'Ukraine.

Lors d'une conversation téléphonique avec son homologue russe Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie américaine a appelé lundi la Russie à prendre «des mesures concrètes pour aider à la mise en oeuvre de l'accord de Genève en appelant publiquement les séparatistes à évacuer» les bâtiments occupés illégalement, a indiqué Jennifer Psaki, porte-parole du département d'État.

M. Lavrov a répliqué que Washington devait convaincre Kiev de respecter ses engagements et utiliser son influence «afin que les têtes brûlées ne provoquent pas un conflit sanglant», selon un communiqué du ministère russe des Affaires étrangères.

Cet échange plutôt vif a eu lieu quelques heures après l'arrivée à Kiev du vice-président américain.

M. Kerry a fait pression dans le même sens en demandant à M. Lavrov de nommer un diplomate de haut rang pour travailler avec la mission d'observation de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) afin de montrer de façon «absolument claire que la Russie soutient l'accord (de Genève) et veut une désescalade».

«Isoler la Russie est impossible» 

Mais le chef de la diplomatie russe, qui n'a pas encore répondu à cette demande, a mis en avant «l'incapacité et le manque de volonté des autorités de Kiev à mettre fin aux actes de violence du Pravy Sektor», groupe nationaliste paramilitaire ukrainien.

L'espoir d'apaisement né de l'accord de Genève, destiné à régler la crise la plus grave depuis la Guerre froide entre Moscou et les Occidentaux, s'est nettement éloigné, d'autant que la tension est montée d'un cran pendant le week-end pascal avec une fusillade meurtrière à Slaviansk, bastion des séparatistes de l'est de l'Ukraine, qui ont demandé au président russe Vladimir Poutine d'envoyer des troupes.

«Non seulement l'accord de Genève n'est pas respecté, mais des mesures sont prises, notamment par ceux qui se sont emparés du pouvoir à Kiev, qui l'enfreignent grossièrement», a déclaré M. Lavrov.

Pour l'ambassadeur américain à Kiev, Geoffrey Pyatt, l'évacuation des bâtiments occupés par les séparatistes constituerait un résultat concret mais il doit être rapide. «Nous parlons de jours, pas de semaines», a-t-il toutefois souligné.

Washington et Kiev accusent Moscou de fomenter les troubles actuels dans l'est de l'Ukraine. La Russie souligne pour sa part que le centre de Kiev reste occupé par les groupes, notamment nationalistes, qui se sont mobilisés jusqu'à la chute du président Viktor Ianoukovitch.

Le département d'État américain a dévoilé lundi des images fournies par Kiev montrant, selon lui, que des séparatistes armés dans l'est de l'Ukraine sont en fait des militaires ou officiers de renseignement russes. Ces images ont pour certaines été fournies par les Ukrainiens, pour d'autres été publiées dans la presse internationale ou récupérées sur Twitter, a affirmé la porte-parole du département d'État.

Depuis la perte par Kiev de la Crimée, les États-Unis et l'Union européennes ont appliqué des sanctions contre de hauts responsables russes. Et Washington menace de s'attaquer désormais à des pans entiers de l'économie russe, déjà confrontée à des fuites massives de capitaux.

Le ministère russe des Finances a estimé lundi que le pays se trouvait déjà probablement en «récession technique», le produit intérieur brut semblant parti pour se contracter au deuxième trimestre, comme au premier.

Pour M. Lavrov, toutefois, les pressions et menaces occidentales sont vouées à l'échec. «Les tentatives d'isoler la Russie sont vaines, car isoler la Russie du reste du monde est impossible», a-t-il asséné.

«Un président virtuel, une armée virtuelle, une guerre virtuelle» 

Après la fusillade de Slaviansk, qui a fait au moins deux morts, le maire autoproclamé de la ville, Viatcheslav Ponomarev, a décrété un couvre-feu de minuit à six heures.

«On ne tirera que si on est attaqués», a assuré à l'AFP Evguen Gorbik, qui monte la garde sur une barricade bloquant la rue Karl Marx, à proximité de la mairie. «Actuellement, on a un président virtuel en Ukraine, une armée virtuelle et une guerre virtuelle», a observé cet homme en treillis et casquette militaire.

Mais la tension reste vive, et les insurgés pro-russes sur place, font régulièrement la démonstration de leur contrôle des lieux. Un blindé, pris la semaine dernière à l'armée ukrainienne, sans combat, a traversé la ville en trombe lundi à la mi-journée dans un nuage de fumée, un grand drapeau russe flottant au vent.

Des manifestations pro-russes ont également eu lieu dans la région de Lougansk, voisine de Donetsk et où des bâtiments publics sont également occupés. Les séparatistes y ont nommé un «gouverneur populaire» pour remplacer celui nommé par Kiev et ont promis de créer leur propre armée, a rapporté l'agence de presse Interfax Ukraine.

Les autorités ukrainiennes ont lancé la semaine dernière une opération dite «antiterroriste» pour reprendre la main dans la région, mais l'envoi de chars et d'avions de chasse a tourné à la déroute.

Poutine «réhabilite» les Tatars de Crimée

Le président russe Vladimir Poutine a annoncé lundi avoir signé un décret sur la réhabilitation des Tatars de Crimée en tant que peuple réprimé sous Staline, un geste en faveur de cette minorité musulmane qui s'est montrée hostile au rattachement à la Russie.

«Je tiens à vous informer que j'ai signé un décret sur la réhabilitation des Tatars de Crimée, des Arméniens, Allemands, Grecs, de tous ceux qui ont souffert sous la répression stalinienne», a-t-il annoncé lors d'une réunion gouvernementale, cité par l'agence de presse russe Ria Novosti.

Les Tatars de Crimée, qui représentent environ 12 % de la population de la péninsule, ont largement boycotté le référendum du 16 mars qui a abouti au rattachement de la Crimée à la Russie.

Toute la population des Tatars de Crimée a été déportée en Asie centrale à la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme les Tchétchènes notamment, par Staline qui les accusait de collaboration avec les Allemands.

Les Tatars n'ont été autorisés à retourner en Crimée qu'après la perestroïka, à la fin de l'époque soviétique. L'Ukraine n'a jamais adopté de loi sur leur réhabilitation, et les Tatars sont toujours confrontés à des questions de propriété de la terre notamment.

Forte aujourd'hui d'environ 300 000 personnes, cette communauté demandait à bénéficier d'une loi russe de 1991 sur la «Réhabilitation des peuples réprimés», qui donne droit à certaines compensations.

PHOTO GENYA SAVILOV, AFP

Un homme armé, en treillis militaires, monte la garde près d'une barricade, à Slaviansk, dans l'est de l'Ukraine, le 21 avril.