La confrontation avec les insurgés pro-russes de l'est de l'Ukraine a tourné à la déroute pour les forces du pouvoir pro-européen de Kiev mercredi, à quelques heures de pourparlers décisifs à Genève.

Face à l'aggravation continue de la pire crise Est-Ouest depuis la fin de la guerre froide, l'Otan a annoncé un renforcement des mesures de défense de ses membres d'Europe orientale. Les pays baltes ou la Pologne sont en effet particulièrement inquiets face à ce qu'ils dénoncent comme un interventionnisme russe.

Quant aux États-Unis, ils ont indiqué «préparer activement» de nouvelles sanctions contre la Russie, un avertissement clair alors que s'ouvrent jeudi matin à Genève les premières discussion directes sur la crise entre chefs de la diplomatie américain, russe, ukrainien et européen. Moscou doit montrer sa volonté de désescalade sur le terrain et reconnaître l'engagement de Kiev à mener des réformes constitutionnelles selon Washington.

John Kerry, arrivé à Genève mercredi soir, a espéré aider à établir «un vrai dialogue entre la Russie et l'Ukraine», a indiqué aux journalistes un haut responsable dans son avion.

Mais le chef de la diplomatie ukrainienne, Andrïï Dechtchitsa, a clairement demandé à son arrivée à Genève que la Russie cesse de ssoutenir «les activités terroristes» en Ukraine et qu'elle «retire ses troupes de la frontière est» du pays.

En Ukraine, les pro-russes réclament un rattachement à la Russie, ou au minimum une «fédéralisation» de l'Ukraine donnant des pouvoirs étendus aux régions.

Le chef de la diplomatie ukrainienne a également réitéré le refus de la fédéralisation soutenue par Moscou, répétant que son gouvernement prévoit des réformes pour donner plus de pouvoirs aux régions.

«Mais c'est à l'Ukraine, au gouvernement ukrainien et au peuple ukrainien de décider sur ces questions. Nous n'allons pas discuter avec la Russie les développements internes de l'Ukraine», a-t-il dit.

Et à Moscou le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a, lui, dénoncé un État ukrainien «qui a cessé de fonctionner».

Blindés capturés 

Sur le terrain, les forces loyalistes ukrainiennes ont en effet accumulé mercredi les revers face aux groupes armés autour de Slaviansk, ville emblématique de la dernière série d'insurrections pro-russes, contrôlée depuis samedi par des forces séparatistes.

Une colonne ukrainienne envoyée dans le cadre de «l'opération antiterroriste» lancée par Kiev pour reprendre la main a été bloquée par des manifestants pro-russes à quelques kilomètres au sud de Slaviansk.

Six blindés ont été saisis par un des groupes de combattants aux uniformes sans identification qui multiplient les actions depuis 10 jours dans l'Est russophone. Ils ont rejoint, drapeaux russes au vent, la défense de Slaviansk.

Après de longues heures de confrontation avec des manifestants, les hommes du reste de la colonne -quinze blindés restés coincés à Kramatorsk- ont fini, certains en larmes, par déposer les armes, sous les cris de «bravo les gars».

Les blindés capturés sont arrivés à Slaviansk chargés de plusieurs dizaines d'hommes puissamment armés, souvent cagoulés, vêtus des mêmes uniformes sans insignes.

Selon Kiev et les Occidentaux, ces groupes armés, ironiquement baptisés «hommes verts» en Ukraine, sont en fait des soldats d'élite russes, comme ceux qui étaient à l'oeuvre en Crimée avant le rattachement de la péninsule ukrainienne à la Russie en mars. Moscou nie avoir des soldats ou des agents en territoire ukrainien.

Le seul de ces hommes à accepter de parler aux journalistes, qui a refusé de s'identifier autrement que sous le pseudonyme de «Balou», 50 ans, a assuré qu'ils étaient des volontaires de Crimée et des déserteurs de l'armée ukrainienne.

«Nouveau mur de Berlin»

Ces mystérieux soldats ont en tout cas été accueillis en sauveurs par plusieurs centaines d'habitants de la ville, criant «L'armée est avec le peuple! Nous vous aimons!».

Dans un autre défi au pouvoir central, un groupe d'hommes cagoulés et armés se sont emparés de la mairie de Donetsk, fief russophone de l'Est où des séparatistes avaient déjà proclamé une «république souveraine» le 7 avril. Les inconnus exigent là encore l'organisation d'un référendum sur la «fédéralisation» de l'Ukraine.

Le Premier ministre Arseni Iatseniouk a de nouveau accusé mercredi la Russie d'être derrière les troubles et de vouloir ainsi «construire un nouveau mur de Berlin et un retour à la guerre froide».

Moscou dément énergiquement toutes les accusations, affirmant au contraire que les autorités pro-occidentales issues du renversement fin février d'un pouvoir pro-russe lors de soulèvements violents à Kiev ont conduit le pays «au bord de la guerre civile».

Les nouvelles sanctions préparées par Washington et les Européens pourraient cibler davantage d'individus que ceux visés par les sanctions existantes, voire interdire l'accès à certains secteurs économiques clés comme les mines, l'énergie et les services financiers.

L'économie russe souffre déjà de la crise, avec une croissance en berne. Les Européens, de leur côté, redoutent les conséquences d'une éventuelle «guerre du gaz» sur leurs approvisionnements. Moscou a en effet menacé de fermer le robinet à Kiev, qui a accumulé une lourde dette et refuse d'accepter l'augmentation de 80% du prix des livraisons imposé début avril par Moscou.

L'escalade des tensions dans l'Est de l'Ukraine a attisé les craintes d'une intervention russe, la Russie ayant massé jusqu'à 40 000 hommes à la frontière selon l'Otan. Le président Vladimir Poutine a de longue date affirmé qu'il défendrait «à tout prix» les populations russophones de l'ex-URSS et le Kremlin a assuré lundi qu'il recevait «de nombreux appels à l'aide» des régions insurgées de l'Est de l'Ukraine.

Dans un parallèle inquiétant, la Transdniestrie, autre territoire séparatiste pro-russe de l'ex-URSS situé en Moldavie et frontalier de l'Ukraine à l'ouest, a enjoint mercredi l'Union européenne de la reconnaître si elle voulait la «stabilité» dans la région.