Devant l'entrée de la banque, cinq gardes impassibles en manteau noir. Autour d'eux, une trentaine de personnes affolées : à Simferopol, l'adoption du rouble comme monnaie officielle en Crimée provoque la panique d'une partie de la population.

«La banque m'a appelé pour me demander de payer mes crédits et je ne peux pas le faire!», s'alarme une femme âgée. Une autre demande : «Comment vais-je recevoir ma pension?»

Maxime, un jeune employé de l'établissement, a été envoyé au feu pour leur répondre. «Ne vous inquiétez pas. Bientôt, tous les comptes vont être rouverts», répète-t-il à l'envi.

Tous s'inquiètent de voir leur compte «temporairement bloqué» par cette banque, la PrivateBank, l'une des plus importantes d'Ukraine, au lendemain de l'adoption par les autorités de Crimée du rouble comme monnaie officielle.

Faute de liquidités dans la péninsule, ces clients ne sont autorisés à retirer que 500 hryvnias par jour, soit 57 $.

«Chers clients, en lien avec le passage au rouble le 18 mars, l'agence ne recevra pas de clients», est-il expliqué sur un bout de papier collé à la hâte sur la porte de l'établissement.

Le système informatique de la banque doit être remodelé pour accepter le rouble, qui prendra définitivement la place de la monnaie ukrainienne le 1er janvier 2016, après une période de transition.

«Attendons une semaine que tout soit en ordre. Pour l'instant, nous ne savons pas encore clairement comment tout cela va fonctionner, car nous ne faisons pas encore partie de la Russie», lance le malheureux Maxime aux clients égarés.

Partout en ville, les habitants se pressent autour des distributeurs de billets pour faire leur plein quotidien en devise ukrainienne. La plupart ont pourtant voté en faveur du rattachement à la Russie.

«J'ai peur!», confie Daria, 19 ans, en jupe et veste jaune, au milieu d'une file d'attente. «Je ne sais pas comment ça va se passer...»

En attendant l'arrivée effective du rouble, l'hryvnia reste l'incontestable monnaie de Crimée.

«Ça va mal se passer»

Dans les petites allées couvertes du marché de Simferopol, les prix, sur des cartons fluo, restent exprimés en devise ukrainienne. Il n'y a pas foule en ce mardi et Irina, 45 ans, semble s'ennuyer ferme sur son tabouret, au milieu des chaussures de son stand.

Elle n'accepte pas encore le rouble qui «n'a pas cours ici». Mais la gestion à venir des deux monnaies ne l'émeut pas plus que ça. «Pour moi, c'est normal», affirme-t-elle, à l'instar de la majorité des commerçants du lieu, où l'on trouve de tout : antennes de télé d'occasion, vêtements bon marché, produits de beauté.

Engoncée dans une vieille redingote léopard, Galina, 68 ans, laisse entrevoir ses dents en or dans un large sourire quand elle évoque l'arrivée de la nouvelle monnaie.

«On a l'habitude! Après la chute de l'Union soviétique, nous devions payer avec des coupons», se rappelle-t-elle. Référence au kabonavets, une monnaie transitoire instaurée à l'indépendance, entre 1992 et 1996, le temps que l'économie ukrainienne se stabilise.

Cette vendeuse d'épices, qui habite en Crimée depuis 20 ans, espère quand même que l'introduction de la monnaie russe dopera ses ventes.

Elle dit déjà jongler du russe à l'ukrainien en fonction des clients. «Avec la monnaie, ce sera pareil», s'amuse-t-elle.

Dans une rue pavée du centre-ville, Oxana est plus perplexe : «Si on passe tout de suite au rouble, je pense que ça va mal se passer». C'est l'expérience qui parle, affirme cette blonde souriante, car à 58 ans, elle a «déjà vécu plusieurs inflations, plusieurs référendums et de nombreux changements monétaires».

Derrière elle, trois hommes montent discrètement la garde. Des gros bras de la milice pro-russe : têtes rasées, manteaux noirs.