Sous les slogans «Poutine, dégage» et «Soldats russes, rentrez chez vous», des centaines de Tatars de Crimée sont descendus vendredi dans la rue pour protester contre le référendum de dimanche qui devrait entériner le rattachement de leur péninsule à la Russie.

Brandissant des drapeaux ukrainiens, environ 500 manifestants se sont rassemblés dans l'une des rues principales de Bakhtchissaraï, fief de cette minorité musulmane en Crimée, sous le regard d'une demi-douzaine de miliciens d'autodéfense pro-russes postés de l'autre côté de la rue. «Nous ne voulons même pas penser à la possibilité de rejoindre la Russie», a déclaré à l'AFP Fatima Souittarova, 40 ans, venue manifester avec sa fille.

«Nous ne voyons le futur de notre nation qu'avec l'Ukraine», a-t-elle ajouté.

Les Tatars, une minorité musulmane installée dans la péninsule, ont été déportés en masse en Sibérie et en Asie centrale sous Staline et n'ont pu y revenir qu'après la chute de l'Union soviétique en 1991. Aujourd'hui, ils représentent entre 12 et 15 % de la population de Crimée et avaient soutenu la contestation visant l'ancien président pro-russe ukrainien Viktor Ianoukovitch.

«Tous les cinq ans, la Russie est en guerre et nous ne voulons pas que nos enfants combattent pour elle», a lancé de son côté Saïd Oumir, 63 ans. Plusieurs camions transportant des soldats russes étaient stationnés vendredi matin sur la principale route menant à Bakhtchissaraï, mais ils ne sont pas apparus à la manifestation, a constaté une journaliste de l'AFP.

Prière du vendredi pour la paix 

Quelques heures auparavant, de nombreux fidèles musulmans s'étaient retrouvés dans la principale mosquée de Bakhtchissaraï, Big Khan, datant du XVIe siècle, pour prier. Devant la mosquée, Hajji Rassim Islam Settar Ogoli a dit prier pour la stabilité.

«Seul Allah sait ce qu'il va se passer. Ici, nous voulons juste être en paix», a déclaré le vieil homme de 79 ans.

Rassim, 83 ans, a confié ne pas se sentir en sécurité en raison de la présence des forces russes à travers la ville. «Comment peut-on se sentir en sécurité quand il y a des gens armés tout autour? On n'attend rien de bon», a-t-il dit.

L'imam de la mosquée a refusé de s'exprimer devant les journalistes, invoquant des craintes pour sa sécurité, mais des fidèles ont raconté après la prière qu'il les avait appelés au calme.

«Il a dit de faire attention aux provocations et de prendre soin de nos familles», a confié Hassan, 26 ans.

Peu avant la prière du vendredi, une camionnette arborant un slogan appelant les gens à voter «pour la paix et la prospérité» et diffusant à pleins décibels une chanson pro-russe est passée devant la mosquée.

Quelques heures plus tôt, le leader tatar Moustafa Djemilev avait, lors d'une interview à l'AFP, appelé au boycottage du référendum et demandé à l'OTAN d'intervenir «comme au Kosovo», «avant qu'il y ait un massacre».

«Si les autres méthodes ne marchent pas, peut-être l'OTAN devrait-elle envoyer ses forces. Ils le font généralement seulement quand il y a un massacre. Nous voudrions que cela arrive avant qu'il n'y ait un massacre», avait lancé ce leader historique de la communauté tatare. Il avait discuté plus tôt dans la semaine avec le président russe Vladimir Poutine et l'avait informé que les Tatars «n'allaient pas faire la guerre à la Russie, mais défendraient l'intégrité territoriale de leur pays».