L'armée ukrainienne n'interviendra pas pour empêcher le rattachement de la Crimée à la Russie car elle a choisi de protéger sa frontière est, a annoncé mardi le président par intérim Olexandre Tourtchinov.

Les propos du chef de l'État ukrainien semblent confirmer que la perte de cette péninsule ukrainienne séparatiste apparaît de plus en plus inéluctable.

D'autant qu'à quatre jours du référendum sur l'adhésion de la Crimée à la Russie qu'organisent dimanche ses autorités séparatistes, les contacts entre Washington et Moscou ont tourné ces derniers jours au dialogue de sourds.

«Nous ne pouvons pas nous engager dans une opération militaire en Crimée, ainsi nous dénuderions la frontière est et l'Ukraine ne serait pas protégée, les militaires russes comptent là-dessus», a déclaré M. Tourtchinov lors d'une interview exclusive accordée à l'AFP.

Le référendum est une «farce» décidée dans les «bureaux du Kremlin», a-t-il estimé, et les «militaires russes» vont remplir les «procès-verbaux avec de faux chiffres».

M. Tourtchinov, qui doit rester à la tête de l'Etat et des forces armées ukrainiennes jusqu'à l'élection présidentielle prévue le 25 mai prochain, s'est exprimé à l'issue d'une réunion du Conseil de sécurité nationale et de défense à Kiev.

Le Premier ministre Arseni Iatseniouk s'est lui envolé pour Washington où il rencontre mercredi le président Barack Obama ainsi que des responsables du Fonds monétaire internationale et de la Banque mondiale.

Il sera ensuite à New York où la crise ukrainienne sera jeudi à l'ordre du jour au Conseil de sécurité de l'ONU.

M. Iatseniouk s'adressera au Conseil qui sera également informé de la situation en Ukraine par le secrétaire général adjoint de l'ONU pour les affaires politiques, Jeffrey Feltman.

Cependant, l'adoption d'une position commune au Conseil semble improbable: Moscou y dispose d'un droit de veto.

«Annexion» selon Merkel

Le rattachement attendu de la Crimée à la Russie, après un référendum prévu dimanche, ne sera que son «annexion» par Moscou, a jugé mardi la chancelière allemande, Angela Merkel, alors que séparatistes et troupes russes continuaient à renforcer leur contrôle de la péninsule ukrainienne.

Parallèlement, les Européens, Britanniques et Français en tête, ont évoqué de nouvelles sanctions.

Les autorités pro-russes de la région pour leur part fait un pas de plus vers la sécession en adoptant une «déclaration d'indépendance», ce qui devra permettre à la Crimée de demander en toute souveraineté à rejoindre la Russie, une fois annoncés les résultats du référendum, dont l'issue ne fait aucun doute.

Le document a été voté par 78 des 81 députés du parlement régional.

Le précédent du Kosovo 

Les parlementaires ont notamment évoqué le précédent de l'indépendance du Kosovo, reconnue par l'ONU, pour justifier leur démarche au regard du droit international, alors que l'Occident juge le référendum illégitime et son résultat sans valeur.

La Russie a immédiatement adoubé la déclaration d'indépendance de la Crimée, la qualifiant d'«absolument légale».

Moscou en a profité pour retourner l'exemple de l'indépendance du Kosovo contre les Occidentaux en rappelant que la Cour internationale de justice avait considéré à l'époque «qu'une déclaration unilatérale d'indépendance d'une partie d'un État ne violait aucune norme du droit international».

Le vote des parlementaires intervient alors que les forces russes contrôlent désormais les points stratégiques de la péninsule ukrainienne. Tout est en place pour une sécession rapide: le «Premier ministre», Serguiï Axionov, s'est autoproclamé «chef des armées» et les 2 millions de Criméens, majoritairement russophones, ont vu les chaînes russes remplacer les chaînes ukrainiennes sur leur écran de télévision.

Des hommes en treillis fouillent tout voyageur arrivant à Simféropol en provenance du nord et seuls les vols en provenance de Moscou peuvent y atterrir.

La région est de facto interdite aux responsables et observateurs internationaux. Mardi, l'ONU a annoncé que son émissaire en Ukraine, Ivan Simonovic, avait renoncé pour le moment à s'y rendre.

Propositions russes et américaines concurrentes

Entre Russes et Occidentaux, l'incompréhension est totale. Les chefs des diplomaties russe et américaine, Sergueï Lavrov et John Kerry, se sont de nouveau parlé au téléphone, pour la troisième fois depuis vendredi, selon la porte-parole de la diplomatie américaine Jennifer Psaki.

M. Kerry a répété qu'il voulait continuer de discuter, «mais dans un bon climat et avec pour objectif de protéger l'immunité et la souveraineté de l'Ukraine», selon Mme Psaki. «Ce n'est évidemment pas ce que nous avons vu dans les réponses reçues» de la part de M. Lavrov, a-t-elle encore déploré.

Selon Moscou, les deux hommes avaient discuté de leurs «propositions concrètes» visant à assurer «la paix civile et la concorde» en Ukraine.

Ianoukovitch espère rentrer à Kiev

Le président déchu, Viktor Ianoukovitch, réfugié en Russie depuis qu'il a été renversé en février après trois mois de contestation pro-occidentale qui a fait une centaine de morts à Kiev, a réaffirmé être le président «légitime» de l'Ukraine.

L'ancien président est apparu devant les caméras pour la deuxième fois depuis sa chute. Se posant en seul président «légitime» de l'Ukraine, il a toutefois semblé en désaccord avec le Kremlin en disant regretter «que la Crimée se détache» de l'Ukraine.

«Dès que le permettront les circonstances -- je suis certain qu'il ne faudra pas attendre longtemps -- je reviendrai forcément à Kiev», a-t-il assuré, appelant la communauté internationale à cesser de «soutenir un coup d'État» perpétré par une «clique» composée d'«ultra-nationalistes et de néo-fascistes».