L'Ukraine a accusé samedi la Russie de déployer des milliers d'hommes supplémentaires dans la péninsule pro-russe de Crimée alors que Washington a prévenu Moscou que toute intervention militaire russe aurait «un coût».

«La Russie a accru (le nombre de) ses troupes de 6000 hommes» en Crimée, a annoncé le ministre de la Défense Igor Tenioukh lors de la première réunion du nouveau gouvernement ukrainien à Kiev.

Près de 30 blindés ont aussi été déployés, a-t-il dit, dénonçant une «violation grossière» des accords régulant la présence de la flotte russe de mer Noire dans cette péninsule russophone du sud de l'Ukraine, depuis plusieurs jours en proie à de vives tensions séparatistes.

«La présence inadéquate des militaires russes en Crimée est une provocation», mais «les tentatives de faire réagir l'Ukraine par la force ont échoué», a pour sa part averti le premier ministre Arseni Iatseniouk.

Selon lui, la Russie tente actuellement de répéter le scénario mis en oeuvre en 2008 dans la région géorgienne séparatiste d'Ossétie du Sud, où elle avait lancé une opération militaire éclair contre les autorités de Tbilissi, et dont elle a fini par reconnaître l'indépendance.

La Crimée abrite la flotte russe de la mer Noire et la Russie à ce titre a le droit de déplacer des troupes sur le territoire de la péninsule, mais elle doit en informer les autorités ukrainiennes 72 heures à l'avance, ce qui n'a pas été fait, a indiqué le ministre des Affaires étrangères, Andriï Dechtchitsa.

Les mouvements de troupes armées non identifiées se sont encore multipliés ces dernières heures en Crimée et les autorités locales à Simféropol en ont appelé à l'aide du président russe Vladimir Poutine.

«Prenant en compte ma responsabilité pour la vie et la sécurité des citoyens, je demande au président Vladimir Poutine d'aider à assurer la paix et le calme sur le territoire de Crimée», a déclaré le nouveau premier ministre pro-russe de Crimée, Sergiï Axionov, nommé après la destitution jeudi du gouvernement local par les députés.

Le Kremlin a immédiatement fait savoir qu'il n'entendait pas «ignorer» cette demande.

La Douma (chambre basse du parlement russe) a de son côté demandé au président Vladimir Poutine de «protéger par tous les moyens» la population de Crimée «contre l'arbitraire et la violence», a déclaré son président, Sergueï Narychkine.

Les autorités de Crimée ont par ailleurs avancé au 30 mars la date d'un référendum pour plus d'autonomie initialement annoncé pour le 25 mai.

La Crimée faisait partie de la Russie sous l'URSS et n'a été rattachée à l'Ukraine qu'en 1954. Profondément pro-russe et majoritairement russophone, elle a connu au cours des derniers jours une escalade des tensions séparatistes liée à la destitution à Kiev du président Viktor Ianoukovitch, à l'issue de trois mois de contestation populaire et après des affrontements qui ont coûté la vie à près de 100 personnes.

Plusieurs sites stratégiques de Crimée sont désormais sous le contrôle d'hommes armés et en uniformes, mais sans signe permettant de les identifier. Ils contrôlent les aéroports de Simféropol, de Sébastopol, de Kirovske, ainsi que le centre ville de Simféropol et ont hissé le drapeau russe sur plusieurs bâtiments officiels.

Selon un journaliste de l'AFP, des dizaines d'entre eux, cagoulés, patrouillaient samedi matin dans le centre de Simféropol et ont pris position aux abords du Parlement de Crimée à Simféropol où ils ont installé deux mitrailleuses en position défensive.

Les troubles qui affectent la Crimée menacent par ailleurs de s'étendre à d'autres régions d'Ukraine. Plus de 10 000 personnes manifestaient samedi matin à Donetsk, fief du président déchu Viktor Ianoukovitch dans l'est de l'Ukraine, contre les nouvelles autorités de Kiev en brandissant des drapeaux russes, a constaté une journaliste de l'AFP.

«Russie, Russie!, scandaient les manifestants en brandissant des drapeaux russes alors que, sur un podium improvisé, des intervenants déclaraient qu'ils soutenaient l'aspiration de la Crimée de rejoindre la Russie».

La Russie a de son côté suggéré qu'elle pourrait avoir recours à l'arme économique: le géant Gazprom a indiqué samedi que l'Ukraine avait une «énorme» dette de gaz de 1,55 milliard de dollars à son égard. «Avec une telle façon de payer et de remplir ses engagements, l'Ukraine ne va selon toute vraisemblance pas pouvoir conserver le prix préférentiel dont elle bénéficie actuellement pour le gaz» russe, a prévenu son porte-parole.

Obama «inquiet» 

Les Occidentaux n'ont pas fait mystère ces dernières heures de leur inquiétude quant aux derniers développements en Crimée.

Le président américain Barack Obama s'est déclaré «profondément inquiet au sujet d'informations sur des mouvements de troupes entrepris par la fédération russe en Ukraine» et a mis en garde Moscou vendredi contre toute «intervention militaire» en Ukraine.

«Les États-Unis seront solidaires de la communauté internationale pour souligner qu'il y aura un coût à toute intervention militaire en Ukraine», a-t-il lancé en mettant en garde Moscou.

Selon un responsable du Pentagone, «plusieurs centaines de soldats» russes ont été déployés en Crimée.

Barack Obama pourrait renoncer à participer au sommet du G8 prévu en juin à Sotchi (Russie) en raison de la gravité de la situation, a affirmé sous couvert d'anonymat un haut responsable américain.

Le ministère polonais des Affaires étrangères a appelé samedi à l'arrêt des «mouvements provocateurs de forces armées en péninsule de Crimée».

L'ambassadrice américaine à l'ONU a annoncé que les États-Unis demandait l'envoi d'urgence d'une «mission internationale de médiation», «indépendante et crédible» en Crimée «pour commencer à faire baisser la tension» dans la région.

Réapparition de Ianoukovitch 

C'est dans ce contexte de plus en plus tendu que le président déchu Viktor Ianoukovitch, recherché en Ukraine pour «meurtres de masse» après la répression de la contestation qui a fait 82 morts, dont une quinzaine de policiers, à Kiev la semaine dernière, a refait surface vendredi à Rostov-sur-le-Don en Russie.

«Je suis le président légitime de l'Ukraine», a affirmé celui qui a aussi promis de «poursuivre la lutte pour l'avenir de l'Ukraine» au cours de sa première apparition en public depuis sa destitution.

M. Ianoukovitch, qui a déclaré avoir été contraint de quitter l'Ukraine après des menaces sur sa vie, a reçu la «protection» de la Russie face aux «extrémistes» et n'a pas reconnu les nouvelles autorités de Kiev, qui ont lancé une procédure pour obtenir son extradition.

«Ianoukovitch a perdu toute légitimité puisqu'il a failli à ses responsabilités. Il a quitté l'Ukraine», ont estimé les États-Unis.