Quand Vasyl Poslovskiy a vu la police tirer sur les manifestants à la télévision, il a sauté sur son cellulaire et il a appelé son fils, qui était sur les barricades. Il était mort d'inquiétude. De nombreux manifestants tombaient sous les balles des snipers cachés sur les toits qui surplombent le Maïdan.

Vasyl Poslovskiy est chirurgien. La sanglante nuit du 18 février, il travaillait à l'hôpital de Slavuta, à 300 km de Kiev. Toutes les 30 minutes, il appelait son fils. En vain.

Le lendemain, il a demandé deux semaines de congé, il a fait ses bagages et filé à Kiev. Il a retrouvé son fils, qui lui avait flanqué la peur de sa vie, et il s'est enrôlé comme volontaire dans un hôpital de campagne installé au rez-de-chaussée de l'hôtel de ville, à deux pas du Maïdan, la place de l'indépendance.

Vasyl Poslovskiy a passé des années dans l'armée. Il a été médecin en Irak, à Cuba et au Liban. La guerre, il connaît. Il voulait aider. Et être près de son fils.

L'hôpital est aménagé au bout d'un corridor. De chaque côté, des salles d'opération improvisées: des commodes transformées en lits, des lumières, des perfusions, des médicaments. Le minimum.

Le plus gros hôpital de campagne est installé au monastère Saint-Michel, d'une beauté émouvante avec ses coupoles dorées. D'un côté, l'église remplie de gens qui prient en fredonnant des cantiques, de l'autre, un minuscule vestibule traversé par des courants d'air et une pièce attenante, où se déroulent les soins et les interventions chirurgicales. Même organisation minimaliste qu'à l'hôtel de ville.

Avant la chute du président Ianoukovitch, les malades ne pouvaient pas être transportés à l'hôpital, parce qu'ils risquaient d'être arrêtés par la police.

Oleg Musii dirige les 15hôpitaux de campagne du Maïdan. Il est chirurgien et président de l'Association médicale ukrainienne. Il est connu. C'est ce qui le protège.

«Je n'ai pas eu peur de la police, dit-il. S'ils m'avaient arrêté, j'aurais été condamné à 15 ans de prison.»

Peu importe les risques, il voulait aider son peuple, qui ose faire une révolution pour la deuxième fois en 10 ans (la révolution orange de 2004).

Il est sur le terrain depuis le tout premier jour où les manifestants ont envahi le Maïdan. De la cathédrale Saint-Michel, il coordonne le travail des 15 hôpitaux de campagne où travaillent 200 médecins, infirmières et techniciens. Il connaît par coeur le nombre de morts tombés sous les balles: 82. Et le nombre de blessés, 1500, dont 500 dans un état grave.

Il a vu les balles de plastique devenir des balles de plomb, des vraies balles qui tuent.

Hier, il s'affairait à regrouper les 15hôpitaux en un seul, mais pas question de quitter les lieux. Il reste, la révolution n'est pas terminée.

Tournés vers les élections du 25 mai

La révolution ne chôme pas. Hier, les députés ont jeté les années Ianoukovitch par-dessus bord en quelques votes. Une enquête a été ouverte contre les responsables du bain de sang et un nouveau président a été élu, Oleksandre Tourtchinov, un proche d'Ioulia Timochenko, qui a passé deux ans en prison et qui est revenue triomphante à Kiev, samedi soir.

Le président déchu Ianoukovitch demeure introuvable. Son immense domaine, symbole de son régime corrompu, a été nationalisé et il a été renié par son propre parti. Sale temps pour les autocrates.

Tous les yeux sont tournés vers les élections présidentielles du 25 mai. Timochenko se présentera-t-elle? Elle ne fait pas l'unanimité. Même si elle a participé à la révolution orange et a été élue deux fois première ministre, son bilan est mitigé. Hier, Facebook se moquait de son discours théâtral au Maïdan, avec fauteuil roulant, larmes et talons hauts. Timochenko en a-t-elle trop fait?

Foule au Maïdan

Le Maïdan, le coeur de la révolution, n'a jamais été aussi populaire. Il y avait foule hier dans la grande place qui a tenu tête au pouvoir pendant trois mois et qui a connu deux journées sanglantes la semaine dernière.

Le Maïdan n'a pas l'intention de plier bagage ou de défaire ses barricades. Partir? Hors de question, répondent les gens, la révolution n'est pas finie, elle ne fait que commencer.

Hier, une foule bigarrée arpentait le Maïdan: des hommes en cagoule avec des bâtons côtoyaient des familles avec de jeunes enfants. Au menu, toujours les mêmes activités: discours, musique, bouffe, recueillement autour d'autels improvisés pour honorer les victimes. Il y avait même une femme qui jouait du piano au milieu de la rue.

Il y avait tellement de monde qu'on se marchait sur les pieds.

Patrouilles mixtes

En me rendant au Maïdan, j'ai croisé six policiers. C'était les premiers que je voyais en deux jours. Deux membres des brigades d'autodéfense les accompagnaient. La semaine dernière, ils se tiraient dessus. Hier, ils patrouillaient ensemble.

Pourquoi?

«Seuls, on aurait peur d'être attaqués, a répondu un des policiers, Anatoli. Avec les brigades, on se sent en sécurité. Il faut que les gens apprennent à nous faire confiance.»

Douze groupes mixtes policiers-brigades ont été créés à Kiev. Les policiers sont armés, les brigades, non. Ce sont pourtant elles qui protègent les policiers de la vindicte populaire.

Il n'y a que les révolutions pour créer d'aussi étranges retours de l'histoire.

PHOTO VASILY FEDOSENKO, REUTERS

Quinze hôpitaux de campagne ont été créés pour accueillir les manifestants blessés durant les affrontements au Maïdan.