L'Ukraine est entrée dimanche dans une nouvelle ère en se dotant d'un chef de l'État par intérim en remplacement de Viktor Ianoukovitch, destitué la veille et introuvable depuis.

Conformément à la Constitution, le président du Parlement Olexandre Tourtchinov, un proche de l'opposante Ioulia Timochenko, a été élu dans la matinée à une très large majorité chef d'État par intérim par les députés.

Les parlementaires se sont aussi mis d'accord pour former d'ici à mardi un gouvernement d'union nationale. Plusieurs figures de l'opposition sont déjà pressenties pour le mener, bien que Mme Timochenko ait fait savoir dès dimanche qu'elle n'y songeait pas, au lendemain de sa libération.

M. Ianoukovitch, qui avait refusé samedi de démissionner et dénoncé un «coup d'État», a entretemps été lâché par son propre parti, le Parti des régions.

«L'Ukraine a été trahie, les Ukrainiens dressés les uns contre les autres», a dénoncé le parti dans un communiqué. Viktor Ianoukovitch est «responsable des événements tragiques» en Ukraine de la semaine, affirme-t-il.

On ignorait dimanche où se trouvait l'ex-président, qui aurait tenté en vain de fuir en Russie samedi en corrompant des gardes-frontières, selon M. Tourtchinov.

Des députés ont tapé du poing sur la table lors d'une session au Parlement dimanche pour exiger de savoir où il se trouve, sans obtenir de réponse dans l'immédiat. Pour l'heure, l'ex-président ne fait l'objet d'aucune poursuite officielle.

Photo BULENT KILIC, AFP

L'opposante Ioulia Timochenko

Semblant de normalité

Dimanche, le centre de Kiev, avait renoué avec un semblant de normalité.

Profitant du calme revenu, des dizaines de milliers de personnes, familles avec jeunes enfants, sympathisants émus ou simples curieux, se sont pressés au centre-ville pour observer de leurs propres yeux l'étrange décor de guérilla laissé par trois mois de crise aiguë.

Chargés de fleurs et armés d'appareils-photo, ils se recueillaient, inspectaient les imposantes barricades, les boucliers des défenseurs et les impacts de balles laissés par les violents affrontements de la semaine.

Selon un nouveau bilan donné dimanche par le ministère de la Santé, les violences ont fait 82 morts depuis mardi.

Dans le même temps, le siège du Parti communiste, allié du parti de Viktor Ianoukovitch au Parlement, a été saccagé par des manifestants et les inscriptions «Criminels», «assassins», «esclaves de Ianoukovitch» ont été taguées sur la façade du bâtiment.

Quelque 40 statues de Lénine ont aussi été déboulonnées ou vandalisées depuis le début de la semaine, principalement dans l'est du pays, selon les médias ukrainiens.

Des documents potentiellement explosifs détaillant un système de pots-de-vin organisé et une liste de journalistes à surveiller ont par ailleurs été découverts dans la résidence de M. Ianoukovitch en banlieue de Kiev.

Quant à Ioulia Timochenko, l'ex-égérie de la Révolution orange tout juste sortie de prison, elle a fait savoir qu'elle rencontrerait «très prochainement» la chancelière allemande Angela Merkel.

«Bienvenue dans la liberté», lui a lancé la chancelière, qui a également proposé à l'opposante ukrainienne de venir se soigner en Allemagne.

Menaces sur l'unité du pays?

Si l'extrême tension des derniers jours est retombée, les inquiétudes concernant ce pays de 46 millions d'habitants restent très vives à l'étranger. Il apparaît en effet à la fois profondément divisé et au bord de la faillite financière.

«Le pouvoir (précédent) a conduit l'économie à la catastrophe. Il n'y a pas d'argent sur les comptes (publics) et vous voyez ce qui se passe avec la devise et le système bancaire», a déploré M. Tourtchinov dimanche.

Le sujet a été abordé lors de la réunion du G20 dimanche à Sydney. «Les États-Unis et d'autres pays sont prêts à aider l'Ukraine dans ses efforts de retour à la démocratie, à la stabilité et la croissance», a déclaré le secrétaire américain au Trésor, Jack Lew.

La communauté internationale a en outre clairement fait part de ses craintes que la crise n'ait encore creusé le fossé entre l'Est russophone et russophile, majoritaire, et l'Ouest nationaliste et ukrainophone.

Cette tendance a elle-même été aggravée par le bras de fer auquel se sont livrés ces derniers mois la Russie et l'Union européenne autour du sort de ce pays charnière, que les deux entités souhaitent attirer au maximum dans leur aire d'influence.

À Sébastopol, ville du sud de l'Ukraine qui héberge la flotte russe de la mer Noire, quelque 10 000 personnes se sont rassemblées dimanche pour dénoncer à l'appel de mouvements pro-russes «les fascistes (qui) ont pris le pouvoir à Kiev».

«Le nouveau pouvoir veut priver les (Ukrainiens russophones) de leurs droits et de leur citoyenneté», affirmaient les organisateurs.

Plusieurs capitales ont insisté dimanche sur la nécessité de préserver l'intégrité du pays.

Mme Merkel et le président russe Vladimir Poutine sont tombés d'accord sur le fait que «l'Ukraine doit se doter rapidement d'un gouvernement en mesure d'agir et que l'intégrité territoriale doit être préservée», selon la chancellerie allemande.

Une partition de l'Ukraine ou le «retour de la violence» ne sont dans l'intérêt ni de l'Ukraine, ni de la Russie, ni de l'UE ou des États-Unis, a renchéri la Maison-Blanche.

Plus tôt dans la journée, le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, s'était montré plus direct, estimant qu'il «ne serait vraiment pas dans l'intérêt de la Russie» d'intervenir militairement en Ukraine.

Photo BULENT KILIC, AFP