Un an après la mort de 77 personnes aux mains du tueur Anders Behring Breivik, comment va la Norvège? Qu'est-ce que la tragédie nous a appris sur cette société? Le tueur était-il représentatif d'un courant sombre xénophobe? Ou, au contraire, était-il un élément solitaire, totalement déviant, dans une société égalitaire et accueillante?

La Norvège, société riche et égalitaire, progressiste et créative, aurait-elle un côté sombre? Une extrême droite raciste cachée, qui se manifesterait ici et là par des dérives meurtrières, dont la pire aurait été, évidemment, le massacre d'Utøya?

«Ce côté sombre, je ne le vois pas», répond le psychologue Pål Grøndahl, spécialiste des «autopsies» psychologiques, que j'ai rencontré à l'hôpital universitaire d'Oslo. Il s'est évidemment plongé dans le dossier Breivik. «Mais nous sommes riches, nous sommes contents de nous et nous pouvons être accusés de ne pas avoir beaucoup de tolérance pour les gens qui dévient», poursuit le spécialiste. «Ceux qui ont l'impression d'être un échec se sentent vraiment beaucoup comme un échec.»

Est-ce le terreau qui a prédisposé à l'apparition du tueur d'Utøya?

Selon le politologue français Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite, Breivik était essentiellement un lone wolf, un loup solitaire agissant seul et radicalisé par l'internet. Il a été brièvement membre du Parti du progrès, un parti néolibéral à droite de l'échiquier norvégien. Mais il s'en est vite détaché, et ce parti n'a rien à voir avec le Front national et les autres partis de droite européens qui font de l'immigration un enjeu principal.

Aujourd'hui, ce parti tient à proclamer publiquement l'absence de tout lien avec les idées du tueur, et de toute adhésion à celles-ci - sans parler de ses actions. «Ma réaction quand j'ai su qu'il avait déjà été membre du parti? Dégoût total», répond Morten Høglund, député de cette formation, lorsqu'on aborde le délicat sujet.

Selon lui, l'extrémisme de Breivik ne donne pas une idée réelle de l'endroit où se situent les discussions norvégiennes sur les questions liées à l'immigration. «Le débat est beaucoup plus musclé en France, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. Ici, si vous demandez aux gens si cela fait partie de leurs priorités, ils diront que non.»

Ce que le parti demande, affirme M. Høglund, c'est un meilleur système pour trier les demandeurs de statut de réfugié. Et un processus d'intégration plus efficace pour s'assurer que les nouveaux venus respectent les valeurs démocratiques modernes norvégiennes. «Ce que nous ne voulons pas, c'est le radicalisme», dit-il.

En outre, ce Parti du progrès reconnaît avoir un programme très en faveur de la «loi et de l'ordre», mais jamais il ne penserait remettre en question le fait que les policiers norvégiens ne portent pas d'arme à feu. Et ce, même après Utøya, assure M. Høglund.

Individus à problèmes

«La vaste majorité des Norvégiens reconnaît que Breivik était un raciste fou», poursuit Anders Giaever, chroniqueur au quotidien VG. Ici, il n'y a pas de courant d'extrême droite, assure le journaliste. Quand ils organisent des manifestations, des groupuscules ne réussissent pas à attirer les foules et sont largement dépassés, en nombre, par leurs opposants de gauche. Et avant la Seconde Guerre mondiale, les nazis n'ont jamais réussi à faire élire le moindre député. «Ce qu'il y a, poursuit Giaever, ce sont des individus qui créent des problèmes.»

Personne n'a revendiqué les gestes de Breivik, affirme Daniel Poohl, rédacteur en chef d'Expo, trimestriel suédois consacré aux enquêtes sur l'extrême droite scandinave, fondé par l'écrivain Stieg Larsson. Poohl et son équipe surveillent les sites internet d'extrême droite et épluchent notamment les commentaires des internautes. «En gros, personne ne veut être associé à lui. Certains disent que ses idées sont O.K., mais généralement, on dit que son acte ne l'était pas, bien qu'on voit, depuis environ un mois, de plus en plus de commentaires affirmant que ses gestes étaient peut-être nécessaires.»

Le problème, poursuit Poohl, c'est que même si les réels extrémistes demeurent isolés, comme l'était Breivik, cela ne diminue pas le danger. «Ce que Breivik a montré, c'est qu'un seul individu peut faire beaucoup de dommage.»

On voit également que leurs cibles peuvent être multiples. Les minorités visibles, les femmes... Et, comme on l'a vu à Utøya, tous ceux qui appuient le multiculturalisme. Combinez les facteurs et le risque est encore plus élevé.

Kari Helene Partapuoli, porte-parole du centre antiracisme, mariée à un homme originaire de Gaza, était sur la liste principale des cibles du tueur, tout comme Gro Harlem Brundtland, ancienne première ministre norvégienne.

«La pire chose pour ces gens-là, c'est quand une femme norvégienne est mariée avec un non-Blanc», explique Mme Partapuoli.

Ça, la Norvège l'a appris durement, en 2001, quand un garçon de 15 ans, Benjamin Hermansen, né d'une mère d'origine norvégienne et d'un père d'origine ghanéenne, a été assassiné par des militants d'extrême droite néonazis.

Cela dit, malgré ce type d'incident, peu fréquent mais troublant, le débat principal qui touche les minorités religieuses et culturelles ne se passe pas du côté de l'extrême droite, mais plutôt au centre et à gauche. C'est le bon vieux débat sur la collision entre la liberté de religion et les autres droits, comme l'égalité entre les hommes et les femmes ou la liberté d'expression - des valeurs plus qu'importantes dans cette société progressiste.

Les immigrés intégrés sont très bien acceptés, explique le journaliste Giaever. «Mais quand on voit des immigrés venus des campagnes pakistanaises qui gardent leurs femmes obligatoirement à la maison, les mariages forcés et compagnie, ça réagit.»

Cela dit, selon lui, ce type de discussion est légitime. «Le vrai problème, explique M. Giaever, c'est quand ça dérape dans des théories de complot voulant qu'on soit en train de se faire coloniser par l'islam...» Comme Breivik le croyait. Dans ce cas, dit-il, on peut sans hésiter utiliser le mot islamophobie.

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La Norvège en bref

> La Norvège est une monarchie parlementaire de près de 5 millions d'habitants.

> La capitale, Oslo, compte 900 000 habitants, et est en pleine expansion économique et démographique: 27% de sa population a des origines immigrantes.

> On compte 100 000 musulmans en Norvège, et plus de 500 000 immigrants.

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Le tueur et les jeux vidéo

Peut-on tracer un lien entre les gestes posés par Breivik et sa passion pour les jeux vidéo violents? Breivik a admis en cour qu'il était si passionné par le jeu Modern Warfare qu'il pouvait passer 17 heures devant son écran pour y jouer.

En 2006, il est retourné habiter avec sa mère pour économiser de l'argent, et a passé le reste de l'année devant son écran. «Jouer, dormir, jouer, dormir... C'est un rêve que j'avais et je voulais faire ça», a-t-il dit au tribunal. Il a aussi affirmé qu'il utilisait de tels jeux - il était aussi un grand adepte de World of Warcraft - pour scénariser dans sa tête la réaction de la police aux différents plans qu'il voulait mettre en place et pour penser aux stratégies pour s'échapper.