Plus de 10 ans après la sortie de Bowling For Columbine, son film documentaire sur un autre massacre au Colorado, Michael Moore cachait mal sa colère mardi soir sur CNN, où il était invité par Piers Morgan à parler de la tuerie d'Aurora.

«J'en ai marre, de ça. Je refuse ça. Je refuse de vivre dans un pays comme ça», a déclaré le documentariste américain à l'animateur en précisant qu'il n'avait pas l'intention de quitter les États-Unis.

«Par conséquent, que dois-je faire? Cela doit changer», a-t-il ajouté en appelant Barack Obama à «être un leader» sur la question des armes à feu et de leur omniprésence aux États-Unis.

Michael Moore a sans doute exprimé une frustration ressentie par plusieurs Américains de tendance progressiste. Mais rien ne laisse croire que la situation changera. En fait, du point de vue du cinéaste, elle risque plutôt de se détériorer.

D'une part, la tuerie d'Aurora a fait bondir les ventes d'armes à feu au Colorado et dans plusieurs autres États américains, un phénomène qui s'était également produit après d'autres tragédies semblables, dont celles de Tucson en 2011 et de Virginia Tech en 2007.

Au Colorado, 2887 vérifications de casier judiciaire - nécessaires pour acheter une arme - ont été faites entre vendredi et dimanche derniers, une augmentation de 43% par rapport à la semaine précédente. Le nombre de personnes désireuses de s'inscrire à une formation pour obtenir un permis pour porter une arme dissimulée a également connu une forte hausse.

Ailleurs aux États-Unis

Le Colorado n'est pas un cas isolé. Les demandes de vérifications ont augmenté de 14% en Floride, de 11% en Oregon et de 10% en Californie, selon l'agence Associated Press.

Après une fusillade, plusieurs Américains ressentent le besoin de se procurer une arme à feu pour se sentir en sécurité, selon les experts. D'autres le font par peur que de nouvelles lois ne viennent restreindre l'accès aux armes à feu. En réalité, ils n'ont rien à craindre à ce sujet, selon James Jacobs, professeur de droit à l'Université de New York et auteur d'un livre sur le contrôle des armes à feu.

«Les républicains n'ont jamais été en faveur du contrôle des armes à feu», a-t-il expliqué à La Presse. «Bill Clinton s'est battu pour la loi Brady en 1993, mais il a attribué en partie les pertes de l'élection de 1994 à son appui au contrôle des armes à feu. Par la suite, les démocrates ont abandonné cette question. Bref, il n'y a plus aucun appui politique pour le contrôle des armes.»

Barack Obama et Mitt Romney, qui devraient s'affronter à l'occasion de l'élection présidentielle de novembre, ne semblent pas avoir l'intention de faire mentir le professeur Jacobs. N'en déplaise à Michael Moore, le président démocrate a soigneusement évité d'utiliser la fusillade d'Aurora pour encourager de nouvelles lois sur les armes à feu. Comme d'autres élus démocrates, il n'aura probablement pas à payer le prix de cette dérobade.

«Les partisans de lois plus strictes sur les armes à feu ne sont jamais parvenus à punir les démocrates qui se défilent sur cette question», estime Daniel Webster, codirecteur du Johns Hopkins Center for Gun Policy and Research.

National Rifle Association

En revanche, Mitt Romney et ses alliés républicains n'oseraient jamais se mettre à dos la National Rifle Association (NRA), puissant lobby des armes à feu, qui joue aujourd'hui un rôle clé au sein de leur parti.

«La NRA fournit au Parti républicain deux choses clés qu'il désire et dont il a besoin: du financement électoral et une base d'électeurs motivés sur lesquels il peut compter le jour de l'élection», a confié Daniel Webster à La Presse.

Autre obstacle à l'adoption de lois plus strictes sur les armes à feu: le sentiment que partagent plusieurs citoyens et élus selon lequel ces mesures sont inefficaces. Ce sentiment est renforcé par le fait que les débats sur le contrôle des armes aux États-Unis n'ont lieu qu'à la suite de tueries impliquant des individus à la fois déterminés et perturbés.

«Ironiquement, une des raisons pour lesquelles les gens pensent que les lois sur les armes ne marchent pas est que ces lois sont trop permissives et mal appliquées», déplore le spécialiste de Johns Hopkins.

À la prochaine tuerie?