Un silence de cathédrale régnait sur le centre de Varsovie, hier. L'oeil humide, l'air grave, des milliers de Polonais se sont recueillis devant le palais présidentiel blanc.

Le spectacle était d'une beauté funèbre. Des centaines de chandelles rouges et blanches, aux couleurs du drapeau polonais, éclairaient des gerbes de fleurs et des photos du défunt président Lech Kaczynski. Une forte odeur d'huile émanait des flammes vacillantes.

Des hommes, des femmes et des enfants venus des quatre coins du pays donnaient sans un mot les bougies à de jeunes scouts qui les déposaient devant les grilles présidentielles.

Susan Lopacinska était fascinée par la foule muette. «Cet endroit est normalement animé et bruyant, comme Trafalgar Square à Londres», dit la jeune traductrice.

«Dépêchez-vous à aimer les gens, ils nous quittent si rapidement.» Ce vers célèbre du poète et prêtre Jan Twardowski était inscrit en noir sur une grande affiche.

Obsèques samedi

Cet adage reflétait bien les pensées des Polonais, qui semblaient toujours sous le choc de la disparition du président. Le corps de sa femme Maria a été identifié hier seulement, grâce à une gravure sur son alliance.

L'identification des 94 autres passagers pourrait prendre plusieurs jours, car la majorité des dépouilles sont méconnaissables.

Leur avion s'est écrasé en route vers Katyn, où ils devaient commémorer le 70e anniversaire de l'exécution de 22 000 officiers polonais par les forces soviétiques.

Les obsèques en l'honneur des disparus doivent avoir lieu samedi, au terme d'une semaine de deuil national. Le président russe Dimitri Medvedev et la chancelière allemande Angela Merkel ont déjà confirmé leur participation aux funérailles de leur homologue.

Toutefois, le corps de Lech Kaczynski sera exposé au public dès aujourd'hui. Helena Szhmuska, économiste âgée de 37 ans, compte y être.

«Ma mère a pleuré lorsqu'elle a appris la tragédie, raconte-t-elle. Nous ne pouvions croire ce qui venait de se produire.»

«Pour nous, c'est comparable à l'assassinat de John F. Kennedy», dit de son côté Konrad Szymanski, parlementaire européen dont les deux jeunes enfants brandissaient des drapeaux polonais. «Il y a toujours une part de mystère dans les écrasements d'avion.»

Pressions sur le pilote?

Le président pourrait avoir joué un rôle dans l'accident. Des rumeurs voulant que Lech Kaczynski ait fait pression sur les pilotes pour atterrir à Smolensk, malgré un épais brouillard, circulent depuis hier. Des contrôleurs russes avaient prévenu l'équipage des mauvaises conditions météorologiques.

Un journaliste de l'Agence France-Presse a évoqué un précédent. Lors d'un vol en août 2008, Lech Kaczynski avait ordonné au pilote d'atterrir à Tbilissi, en Géorgie, contrairement à l'itinéraire prévu. Un adjoint du président avait annoncé aux journalistes: «On atterrit à Tbilissi, le président en a donné l'ordre. Il est le chef suprême des armées.»

Le procureur général polonais, Andrzej Seremet, a tenté d'étouffer ces rumeurs hier. «À l'état actuel de l'enquête, il n'y a pas d'informations en ce sens», a-t-il déclaré à des journalistes. Il a néanmoins précisé que les conversations des pilotes seraient étudiées par des experts.

Une tragédie pour un bien

La foule rassemblée à Varsovie pleurait non seulement le politicien, elle regrettait la disparition d'un «homme bon». Des témoignages élogieux dans la presse brisaient l'image sévère de Lech Kaczynski.

«Je n'étais pas d'accord avec ses idées, mais c'était un politicien honnête, une bonne personne», dit Paul Grygolunas, 60 ans, à La Presse.

Le père de famille Zbigniew Majewski avait changé d'opinion sur Kaczynski depuis sa mort. «Des gens qui ont travaillé pour lui m'ont dit qu'il était gentil et agréable. Ils l'aimaient bien», dit l'homme de 36 ans, qui avait amené ses trois jeunes filles avec lui, comme beaucoup d'autres parents.

Il parvenait tout de même à trouver un côté positif au drame: un chapitre noir de l'histoire polonaise est enfin sorti de l'ombre.

«Grâce à ce drame, le monde entier sait maintenant à propos du massacre de Katyn», dit M. Majewski.

- Avec l'AFP