Réunis à Rome depuis quatre jours, les cardinaux n'ont toujours pas annoncé la date du conclave qui élira le prochain souverain pontife. Mais ils sont déjà plongés dans des discussions et des tractations qui dessinent le profil du successeur de Benoît XVI. L'expert américain et auteur John Allen nous aide à comprendre ce que mijotent les «hommes en rouge».

Q: Environ 150 cardinaux, électeurs et retraités, participent cette semaine à des congrégations au Vatican. À quoi servent ces assemblées ?

R: C'est une étape déterminante dans le choix du prochain pape. Les cardinaux discutent des défis de l'Église catholique et des dossiers importants, comme sa mission et sa gouvernance (ce dernier point n'était pas perçu comme une force de Benoît XVI). Au fil des discussions, le profil du pape idéal se dessine. Sur le fond, il sera dans la même lignée que Jean-Paul II et Benoît XVI, car tous les cardinaux ont été nommés par eux. Mais son approche, sa personnalité, sa façon de s'exprimer devant les médias seront des critères importants. C'est pourquoi les cardinaux observeront attentivement les interventions de leurs pairs. Si l'un d'eux parle brillamment, il se fera remarquer. Si, au contraire, un cardinal s'étire sur un sujet sans importance, cela fera mal à sa candidature.

Q: Est-ce que tout se décide dans ces congrégations ?

R: Non. Les cardinaux se connaissent très peu, donc ils profitent de toutes les occasions pour se parler. C'est à la Casa Santa Marta [l'hôtel de 20 millions de dollars du Vatican] qu'ils marchandent et scellent des alliances devant un plat de pâtes. Mais ils se regroupent aussi entre amis et avec des confrères qui parlent la même langue dans des appartements privés et des collèges pontificaux. Enfin, ils lisent les journaux, comme tout le monde, et s'intéressent à ce qu'on raconte sur les hommes papables. Par exemple, deux cardinaux m'ont personnellement joint pour avoir un portrait d'Odilo Scherer, archevêque de São Paulo.

Q: Y a-t-il des coups bas entre les camps de papabili ?

R: Il semble que oui. En 2005, des journaux italiens avaient relayé des rumeurs voulant que le cardinal Scola, encore papable cette année, souffre de dépression. Une autre campagne de sabotage avait eu pour cible l'archevêque de Buenos Aires, Jorge Mario Bergoglio, que certains disaient proche de la junte militaire des années 70. Cette semaine, des affiches avec l'inscription «Au conclave, votez Turkson!» sont apparues dans les rues de Rome, en référence au cardinal ghanéen Peter Turkson. Or, c'est impensable que Turkson soit derrière cette campagne médiatique, car c'est extrêmement mal vu au conclave de faire sa propre promotion. Le problème, c'est que les courses papales ne durent jamais assez longtemps pour qu'on enquête sur les auteurs de ces manigances.

Q: Quelles sont vos prédictions pour le conclave ?

R: Il sera plus long que celui qui a élu Benoît XVI, sans doute trois ou quatre jours. D'abord parce que la course est vraiment ouverte, contrairement à 2005 quand le cardinal Ratzinger était le grand favori. Cette fois-ci, il y aura beaucoup de négociations entre différents clans. Ensuite, parce qu'un pape est élu avec une majorité des deux tiers des voix [une ancienne règle réintroduite par Benoît XVI, NDLR]. La lutte sera chaude. Mais les cardinaux ne voudront pas s'éterniser, pour ne pas faire dire aux journalistes qu'ils sont dans l'impasse.