Journée historique au Vatican : fait inédit depuis des siècles, le pape Benoît XVI abdique jeudi, laissant à son successeur, à qui il a promis «obéissance inconditionnelle», la charge de reprendre en main une Église soumise à des défis sans précédent.

Le pape allemand, 85 ans, qui ne se sentait plus à même d'assumer le poids de sa charge, avait annoncé sa démission le 11 février à la surprise générale. À un moment où l'Église catholique est confrontée à la fois à une contestation interne, à la persécution des chrétiens dans le monde, à de multiples enjeux éthiques et à des scandales de toutes sortes en son sein.

Le dernier départ d'un pape de son vivant et de sa pleine volonté remonte au Moyen-Âge, en 1294, lorsque Célestin V, humble ermite, avait démissionné, dépassé par la corruption et les intrigues après seulement quelques mois à la tête de l'Église.

«J'ai franchi ce pas dans la pleine conscience de sa gravité et aussi de sa nouveauté, mais aussi dans une grande sérénité d'âme», avait dit Joseph Ratzinger mercredi devant une foule émue place Saint-Pierre. Se retirant «dans la prière et la réflexion», il a assuré qu'il resterait aux côtés des 1,2 milliard de catholiques répartis dans le monde.

En fin de matinée jeudi, dans la solennelle Salle Clémentine, plus d'une centaine de cardinaux venus de la Curie et des cinq continents, dont ceux qui, âgés de moins de 80 ans, participeront à l'élection de son successeur, ont salué un à un le pape.

«Parmi vous se trouve le prochain pape, auquel je promets déférence et obéissance inconditionnelles», leur a-t-il déclaré lors d'une brève allocution, assurant qu'il serait proche d'eux «par la prière» lors du prochain conclave.

Des plus jeunes, comme l'archevêque de Manille, Luis Antonio Tagle, aux plus âgés de 90 ans et plus, ils ont tous défilé, certains en pleurs ou au bord des larmes.

Selon un protocole immuable et improbable à ce moment historique, le doyen de salle de l'antichambre pontificale, guindé et tout de noir vêtu, Augusto Pellegrini, était omniprésent comme lors des audiences générales, pour inviter les prélats trop bavards à laisser à place aux suivants.

Joseph Ratzinger, qui était arrivé et reparti appuyé sur une canne, a reparlé de «moments très beaux et de moments où il y a eu quelques nuages dans le ciel», pendant ses huit ans de pontificat.

Son règne a été ponctué de controverses, notamment sur la levée de l'excommunication d'un évêque révisionniste, mais surtout le scandale des centaines d'abus pédophiles commis par des prêtres pédophiles que la hiérarchie a parfois protégés. Plus récemment, le scandale Vatileaks a révélé de nouvelles intrigues au Vatican, tandis que la presse évoquait la présence d'un prétendu «lobby gai».

Le futur pape devra «prendre la Curie en mains», a estimé le cardinal belge Godfried Danneels, tandis que le cardinal George Pell, chef de l'Église australienne, a été ouvertement critique, déplorant la décision «déstabilisante» de Benoît XVI.

«Le gouvernement n'était pas (le) point fort. Je préfère quelqu'un qui puisse mener l'Église et la rassembler un peu», a-t-il déclaré à la télévision australienne, en regrettant le scandale des fuites «Vatileaks» qui a jeté le discrédit sur la Curie romaine.

Le prélat béninois Barthélémy Adoukounou, ancien élève de Benoît XVI et numéro deux du «ministère» de la Culture du Saint-Siège, a affirmé à Radio Vatican que le nouveau pape aurait à s'opposer à plusieurs évolutions selon lui inquiétantes : «la volonté de construire le monde en tout comme si Dieu n'existait pas, de formater l'homme», ainsi que celle de «casser la famille et de détruire la nature».

S'adressant aux cardinaux, Benoît XVI, avec sur les épaules la mosette (courte pèlerine) rouge bordée de fourrure blanche, leur a souhaité d'être «un orchestre» dont «les diversités concourent à l'harmonie» de la réalité plus élevée de l'Église. Il leur a exprimé ses remerciements pour leur «proximité», leurs «conseils» et leur «grande aide».

En fin d'après-midi, le pape quittera le Vatican à bord d'un hélicoptère pour se rendre à Castel Gandolfo, la résidence d'été des papes à une trentaine de kilomètres de Rome. Là, il saluera brièvement la foule depuis le balcon de la villa. Ce sera sa dernière apparition publique en tant que pape.

À 19 h GMT (14 h à Montréal) prendra effet officiellement sa démission. Seule manifestation concrète de cette fin de règne : les gardes suisses montant la garde devant le porche de Castel Gandolfo lèveront le camp.

L'ex-pape prendra alors comme titre officiel «Sa Sainteté Benoît XVI, pape émérite». Des scellés seront posés sur les appartements pontificaux au Vatican, en attendant le prochain occupant.

À Castel Gandolfo, des fidèles allumeront des flambeaux, d'autres réciteront le rosaire accompagné de textes du pape théologien, ou feront un petit pèlerinage à pied depuis le lac d'Albano à deux kilomètres en contrebas, selon Radio Vatican.

La prise d'effet de sa démission ouvrira la fameuse période du «siège vacant», durant laquelle un cardinal-camerlingue assurera l'interrègne. Cette lourde tâche incombera au fidèle secrétaire d'État de Joseph Ratzinger, le cardinal Tarcisio Bertone.

Le pape émérite devrait rester environ deux mois à Castel Gandolfo, loin du brouhaha médiatique qui entourera le conclave chargé d'élire son successeur mi-mars.

Lorsqu'il rentrera au Vatican fin avril, Joseph Ratzinger s'installera dans un ex-monastère niché en hauteur dans les jardins, où il pourra croiser peut-être son successeur et voisin. Une cohabitation inédite.