Les révélations sur l'espionnage présumé du renseignement allemand pour le compte des États-Unis provoquaient mardi des tensions dans la coalition au pouvoir à Berlin, les sociaux-démocrates questionnant pour la première fois le rôle d'Angela Merkel.

Resté silencieux depuis la divulgation des premières informations à ce sujet fin avril, le chef du Parti social-démocrate SPD et ministre de l'Économie, Sigmar Gabriel, a fait savoir lundi qu'il avait interrogé la chancelière conservatrice à deux reprises à ce sujet.

«Ce que nous vivons actuellement, c'est une affaire, un scandale impliquant les services secrets, susceptible de déclencher un choc très important», a déclaré au siège du SPD à Berlin celui qui porte également le titre honorifique de vice-chancelier dans le gouvernement de grande coalition entre son parti et les conservateurs (CDU/CSU).

Sur la base de documents confidentiels, la presse allemande a accusé le BND (Bundesnachrichtendienst, renseignement allemand) d'avoir espionné pour l'agence américaine NSA des entreprises européennes et d'avoir surveillé de hauts responsables politiques français ou européens.

Mardi, la ministre autrichienne de l'Intérieur, Johanna Mikl-Leitner, a indiqué à l'agence de presse APA que son pays avait porté plainte contre X auprès du Parquet de Vienne pour «renseignement secret au détriment de l'Autriche», le quotidien populaire Bild mentionnant des responsables autrichiens comme possibles cibles.

Selon M. Gabriel, dans ses échanges avec la chancelière, celle-ci a récusé tout espionnage économique par le BND pour le compte de la NSA.

«Je n'ai aucun doute que la chancelière a répondu correctement à mes questions», a-t-il dit, ajoutant cependant: «si tel n'était pas le cas, si le BND avait réellement participé à de l'espionnage économique (...) cela hypothèquerait gravement la confiance que l'économie allemande a dans la conduite de l'État».

La presse allemande y a aussitôt vu une attaque contre Mme Merkel.

«Gabriel prend ses distances avec la chancelière Merkel», titrait dans son édition en ligne l'hebdomadaire Der Spiegel. «Le conflit entre la CDU/CSU et le SPD devient de plus en plus clair», affirmait le journal qui pointait les réactions courroucées de plusieurs responsables conservateurs.

Pour Bild, qui prédisait il y a quelques jours que M. Gabriel allait hausser le ton contre la chancelière pour préparer la campagne des législatives de 2017, le chef du SPD «s'acharne sur Merkel».

Danger pour Merkel 

Actuellement au pouvoir avec la chancelière, M. Gabriel envisagerait de l'affronter dans deux ans pour tenter de l'empêcher d'enchaîner un quatrième mandat.

Selon Jens Walther, politologue de l'Université de Düsseldorf (ouest), il s'agit «assurément de la crise la plus grave» pour la coalition au pouvoir et «aussi probablement pour Mme Merkel, de la crise la plus grave et la plus dangereuse en dix ans d'exercice du pouvoir».

Pour son collègue de l'Université libre de Berlin, Carsten Koschmieder, les propos de M. Gabriel trouvent leur source dans la frustration des sociaux-démocrates.

«Ces dernières années, le SPD a mis en oeuvre au sein du gouvernement toutes les mesures qu'il voulait, le salaire minimum, etc. Mais dans les sondages, il reste toujours dans les choux derrière une Merkel imperturbable», observe-t-il.

«Le SPD voit naturellement une chance dans cette affaire (d'espionnage) et cherche à l'utiliser pour se démarquer et peut-être affaiblir aussi un peu la chancelière», a-t-il ajouté.

Et pour M. Walther, «il semble que Mme Merkel, normalement intouchable, pourrait peut-être même trébucher».

Mardi, la chancelière a indiqué à la radio locale Radio Bremen qu'elle s'expliquerait «là où cela (lui) sera demandé. Devant la commission d'enquête (du Bundestag sur les activités de la NSA), si cela est souhaité», a-t-elle dit, ajoutant qu'elle se tenait «volontiers à disposition».

Si cette éventualité se concrétisait, elle donnerait une envergure inédite à l'affaire.

Lundi, la chancelière avait assuré lors d'un point presse que les services de renseignement étaient «sous contrôle».

Mercredi, le ministre de l'Intérieur, Thomas de Maizière, doit témoigner devant cette commission parlementaire. Il occupait à l'époque des faits le poste de ministre à la Chancellerie, en charge de superviser les services de renseignement, et se trouve de ce fait au coeur des interrogations.

Cette commission avait été mise en place en 2013 après les révélations de l'Américain Edward Snowden, ancien consultant de la NSA, selon lesquelles l'agence avait mis en place un vaste système de surveillance des communications visant notamment les Allemands. Selon ces révélations, les Américains avaient même écouté le téléphone portable de la chancelière pendant plusieurs années.

«L'espionnage entre amis, cela ne va pas du tout», avait alors déclaré Mme Merkel.