Courroucée par le scandale des écoutes de la NSA, la présidente brésilienne Dilma Rousseff convoque mercredi à Sao Paulo un sommet international sans précédent voué à remettre en cause la tutelle américaine sur la gouvernance de l'internet.

Ce NETmundial de deux jours s'impose déjà comme un évènement fondateur. Par son audience: les représentants de 87 pays y côtoient universitaires, instituts techniques, acteurs privés et ONG. Mais aussi par son ambition: l'établissement de principes de gouvernance et d'une feuille de route validés pour la première fois par tous les acteurs de la toile.

Une démarche jugée opportune par les acteurs du net au moment où le réseau vient de souffler ses 25 bougies avec, selon l'ONU, un tiers de l'humanité potentiellement connectée.

Pour Brasilia, l'objectif est avant tout de s'affranchir de l'hégémonie américaine sur les instances de régulation d'internet. Une démarche motivée par le scandale de l'espionnage des courriels de Mme Rousseff et de ses collaborateurs par l'Agence américaine de sécurité (NSA).

«Le Brésil veut insister avec force sur un processus de changement de la gouvernance d'internet», a résumé devant la presse Diogo Sant'Ana, secrétaire général de la présidence du Brésil.

«Nous avons besoin d'un changement maintenant», a-t-il insisté.

Mardi soir, Brasilia a confirmé son statut de pays à l'avant-garde de la défense de la confidentialité avec le vote par le Congrès d'un «Cadre civil» établissant des droits et devoirs pour les pouvoirs publics, les entreprises et les usagers du web.

Présenté par le gouvernement comme une véritable «Constitution de l'internet», le texte garantit la liberté d'expression mais surtout la protection de la confidentialité de l'usager contre toute violation et utilisation indue de ses données, désormais passibles de sanctions ad-hoc.

A l'été 2013, les révélations de l'ex-consultant Edward Snowden avaient déclenché l'ire de Brasilia, provoqué le refroidissement des relations entre les deux pays et incité Mme Rousseff à vouloir remettre de l'ordre dans la maison internet pour que de tels agissements ne puissent se reproduire.

Peu après le scandale des écoutes, Dilma Rousseff a avancé l'idée devant les Nations unies d'un contrôle multilatéral de l'utilisation d'internet, faisant également écho aux aspirations de plusieurs organismes du net soucieux de leur indépendance vis à vis de Washington.

Washington joue le jeu 

Pour des raisons principalement historiques, les États-Unis contrôlent ou hébergent les principaux organismes administrant les adresses, noms de domaines, normes et protocoles du web, ce qui provoque depuis plusieurs années frustrations et grincements de dents parmi les acteurs du net et certains gouvernements.

Longtemps inflexibles, les États-Unis ont plié sous la pression diplomatique le mois dernier en cédant du terrain sur la supervision de l'Icann («Internet Corporation for Assigned Names and Numbers»), l'organisme qui délivre notamment les noms de domaine sur internet, comme .com ou .gov, et dont le siège se trouve en Californie.

Dans la foulée des déclarations américaines, une transition vers un nouveau statut de l'Icann a déjà été engagée avec janvier 2015 comme échéance.

«Ce serait un acte symbolique de changer la relation particulière entre l'Icann et des États-Unis. Il faut marquer une distance», souligne à l'AFP le vice-président de l'Icann pour l'Amérique latine Rodrigo de La Parra.

Donner une direction à internet 

Affichant sa volonté de collaborer au NETmundial, Washington a été associé à son organisation avec 11 autres pays. Mardi, le Département d'État s'est dit «enthousiaste» à l'idée de «développer une vision partagée pour un modèle multi-acteurs de la gouvernance d'internet en quête d'un système plus ouvert, participatif et réactif».

Baptisé NETmundial en cette année de Coupe du monde au Brésil, cette réunion internationale s'est donnée comme délicate mission de concilier les intérêts de pays victimes de l'espionnage de la NSA (Brésil, Allemagne, Mexique...), d'États contrôlant accès et contenu internet (Chine), d'acteurs privés jalousant leur liberté (Google) et de libertaires radicaux (WikiLeaks).

Face à une telle gageure, beaucoup craignent que le document final soit dénué de substance. Mais même s'ils ne seront pas contraignants, ces principes auront le mérite de marquer le point de départ d'une véritable gouvernance mondiale.

Dans un projet de résolution soumis aux participants d'environ 80 pays et publié par WikiLeaks, les organisateurs indiquent que la «gouvernance doit être ouverte, participative, multipartite, technologiquement neutre, sensible aux droits de l'homme et fondée sur des principes de transparence, de responsabilité».

«Il est clair que ce qui va être défini ici sont des principes généraux, on ne va pas résoudre tous les problèmes, mais on va donner une direction au futur d'internet», souligne M. de la Parra.