Au moment où on pleure la mort des deux reporters français assassinés au Mali le week-end dernier, et qu'en même temps, on réitère l'importance du travail journalistique en démocratie, la Grande-Bretagne livre une charge sans précédent à l'endroit du journalisme d'enquête.

Les pressions exercées par le premier ministre David Cameron sur le quotidien The Guardian sont tellement intenses qu'elles ont fait réagir plusieurs groupes de défense des droits de la personne qui ont publié lundi une lettre ouverte dénonçant cette menace à la liberté de presse.

Rappelons les faits: depuis plusieurs mois, le Guardian publie des articles du journaliste Glenn Greenwald qui reposent sur des données divulguées par Edward Snowden, ancien consultant auprès de la National Security Agency (NSA), aujourd'hui réfugié en Russie. Ces informations explosives concernent entre autres des opérations d'espionnage des États-Unis dans divers pays européens. Pour des raisons de sécurité, et pour éviter d'être intercepté par les autorités américaines, Glenn Greenwald travaille de chez lui, au Brésil. Il y a quelques semaines, son conjoint a été intercepté à l'aéroport d'Heathrow où on lui a confisqué téléphone cellulaire et ordinateur et où on l'a interrogé pendant neuf heures. Bref, la tension est grande.

Le Guardian est au coeur de la tempête et fait l'objet de pressions continues de la part du gouvernement britannique. L'été dernier, son rédacteur en chef, Alan Rusbridger, a révélé avoir été forcé par des représentants des services secrets britanniques de détruire des fichiers reliés à l'affaire Snowden. Loin de se laisser intimider, il avait déclaré qu'il publierait désormais à partir des bureaux du Guardian aux États-Unis.

Mais les pressions gouvernementales se sont poursuivies jusqu'à atteindre leur point culminant, la semaine dernière, lorsque le premier ministre Cameron y est allé d'une déclaration que d'aucuns ont qualifiée de menace.

«Je ne veux pas avoir à utiliser des injonctions ou d'autres mesures plus dures, a déclaré David Cameron. Je préfère de loin en appeler au sens de la responsabilité sociale des journaux. Mais s'ils ne font pas preuve de responsabilité sociale, il sera très difficile pour le gouvernement de rester passif et de ne pas agir.»

Le député Keith Vaz a pour sa part annoncé que la commission parlementaire britannique sur le contre-terrorisme allait enquêter sur le Guardian. Est-ce que le quotidien a enfreint la loi en publiant les informations divulguées par Edward Snowden? A-t-il mis la sécurité du pays en danger? Ce sont des questions auxquelles la commission tentera de répondre.

De leur côté, les signataires de la lettre - environ 70 organismes issus d'une quarantaine de pays- sonnent l'alarme à propos de ces pressions qui, disent-ils, tentent d'empêcher le débat public sur les questions soulevées par les révélations du Guardian.

«Nous avons uni nos voix au sein d'une coalition internationale, car nous croyons que la réponse de la Grande-Bretagne face aux révélations concernant les opérations de surveillance de la NSA porte atteinte aux droits de la personne au pays, écrivent-ils. La réponse du gouvernement a été de condamner au lieu de célébrer le journalisme d'enquête qui joue un rôle crucial dans une société démocratique en santé.»

La lettre est disponible dans son intégralité sur le site du Guardian.