L'Union européenne va engager lundi à Washington de difficiles négociations avec les États-Unis sur leurs méthodes de renseignement avec un vrai moyen de pression: la menace de suspendre les accords leur donnant accès aux données sur les virements bancaires et à celles des voyageurs.

«Enfin, l'UE durcit le ton», a confié vendredi à l'AFP un diplomate européen. La menace a été formulée d'une manière très explicite dans une lettre adressée par la commissaire européenne chargée des questions de sécurité, Cecilia Malmström, à la ministre de l'Intérieur américaine, Janet Napolitano, et dont l'AFP a obtenu copie.

Les deux accords concernés, la fourniture des données PNR (donnée des passagers des avions) et l'accès aux informations bancaires du réseau SWIFT stockées aux Pays-Bas, sont considérés comme cruciaux par les États unis dans la lutte contre le terrorisme et son financement.

«Mme Malmström a fait comprendre aux Américains qu'il était vital pour les Européens d'obtenir une transparence totale sur leurs actions à cause du scandale provoqué par les allégations d'espionnage des institutions européennes», a expliqué à l'AFP un membre de ses services.

Si cela n'était pas le cas, «je serais obligée de réexaminer si les conditions sont toujours réunies pour la mise en oeuvre» des accords SWIFT et PNR, souligne la commissaire dans sa lettre.

Le Parlement européen a obtenu que les Américains soient tenus de demander l'autorisation d'accéder aux données du réseau SWIFT, et a limité leur utilisation, tout comme pour les données des voyageurs. Les États-Unis ont accepté ces conditions, car ils ont un besoin vital de ces informations.

Trois réunions vont donc se tenir lundi à Washington. La première consacrera le lancement des négociations pour un vaste accord commercial transatlantique. La deuxième, en parallèle, sera consacrée à une mise à plat sur Prism, le programme américain de surveillance d'internet, et sur les activités de surveillance des moyens de communication de la NSA (Agence nationale de sécurité). La troisième sera consacrée aux deux accords PNR et SWIFT.

Les deux premières vont surtout servir à planter «le décor» pour les négociations à venir, ont expliqué des sources communautaires. La troisième se révèle la plus intéressante. Prévue de longue date pour faire le point sur la mise en oeuvre des deux accords SWIFT et PNR, elle devient «un levier» pour forcer des résultats probants dans les deux autres, a commenté un diplomate.

Dans sa lettre à Mme Napolitano, Cecilia Malmström a souligné que «la confiance dans les États-Unis a été mise à mal et qu'il faut la restaurer».

Acceptée par le président Barack Obama, l'organisation de la réunion sur les programmes américains de collecte de données et de renseignements a donné lieu à de difficiles négociations entre les Européens, ont raconté les participants.

Le compromis avalisé vendredi donne gain de cause à une demande des Britanniques, qui «ont exigé que les questions sensibles soient traitées au niveau des seuls États». Une solution acceptée par le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso.

«L'UE n'a pas de compétences en matière de renseignement», a-t-il reconnu au cours d'une conférence de presse à Vilnius avec la présidente lituanienne, Dalia Grybauskaité, dont le pays a pris le 1er juillet la présidence semestrielle de l'UE.

La Commission européenne a en revanche mandat pour négocier avec Washington un accord sur la protection des données et de la sphère privée. Mais la commissaire responsable de la Justice,  Viviane Reding, n'a rien obtenu à ce jour.

Les Européens attendent des explications. Ils veulent savoir si les informations fournies par l'analyste de la NSA Edward Snowden sur l'espionnage des institutions européennes sont vraies, si d'autres informations embarrassantes risquent d'être publiées, comment ces pratiques peuvent être justifiées par les autorités américaines, et dans quelle mesure elles respectent les accords conclus entre l'UE et les États-Unis comme SWIFT et le PNR.

Le programme d'espionnage électronique des ambassades et des délégations de l'UE et de ses États membres «dépasse de loin les besoins de sécurité nationale. C'est une rupture de confiance et on est parti pour quelque chose de très sérieux», avait confié en début de semaine à l'AFP un responsable européen.