La cloche sonne. Fin de la récréation. Quelques centaines d'écolières rangent leurs cordes à danser, leurs friandises et entrent dans la cour, en rangs, deux par deux. En jupe bleue et chemisier à carreaux, des rubans assortis dans les cheveux, elles rient et bavardent.

Au lycée du Cent-cinquantenaire, au centre-ville de Port-au-Prince, les classes ont repris depuis le début du mois d'avril. De la rue, derrière les grilles et les murs, on ne voit que le bâtiment principal de l'école secondaire pour filles. Il faut entrer dans la cour pour découvrir la fourmilière: pour accueillir les 3500 élèves du lycée, 22 salles de classe ont été aménagées dans une dizaine de petits bâtiments construits par le Programme de construction de structures d'accueil provisoires, financé par la Banque inter-américaine de développement et le Fonds d'assistance économique et sociale haïtien.

À Port-au-Prince, où se trouvaient environ 3500 des 4000 établissements d'enseignement détruits par le séisme du 12 janvier, les classes ont repris sous la tente ou dans des abris temporaires dans 700 écoles.

Au grand bonheur des jeunes, comme Carlinda Faustin Marie, «presque 15 ans», qui adore les mathématiques et voudrait travailler plus tard en comptabilité. Comme des centaines d'autres élèves, après le séisme, ses parents l'avaient envoyée en région, où les écoles ont été moins abîmées, pour ne pas trop compromettre sa scolarité.

«Je suis allée à l'école à Saint-Marc. Et puis, ma mère m'a appelée pour me dire de revenir ici», raconte Carlinda, ravie d'avoir enfin retrouvé les copines, les professeurs... et les cours de maths.

À quelques rues de là, dans la classe de Mme Chery, à l'école nationale République du Chili, les enfants de deuxième année lisent en choeur la dictée au tableau. «Je n'ai pas de badine. Tu as une banane. Marie a une carafe...»

L'école, complètement démolie, a été remplacée par un bâtiment temporaire, fait de bois et de tôle. «Après le séisme, on a changé l'horaire. Il y a le groupe du matin, de 8h à 12h, et le groupe de l'après-midi, de 13h à 17h», explique Rosemarie Chery.

Malgré cela, la cacophonie règne: les 28 enfants de la classe de Mme Chery partagent la salle avec ceux de première année et les tout-petits de la maternelle.

«On a beaucoup de problèmes. C'est plus difficile pour les professeurs d'avoir trois classes dans une seule salle. On aimerait que l'école soit rebâtie et que chaque classe ait une salle, comme avant», explique Ginie Jean-Bapstiste, qui enseigne au préscolaire.

Mais pour Claudia Senatus, 9 ans, c'est le bonheur. «J'aime faire des devoirs», confie-t-elle, intimidée, dans un français impeccable, avant de reprendre la lecture de Je lis et je parle.

Dans Pétionville, c'est l'UNICEF qui a fourni les 12 tentes qui servent de classes aux petits garçons de l'école catholique Saint-Joseph, un des rares établissements publics de Port-au-Prince. En Haïti, 80% des enfants scolarisés fréquentent le privé.

Les tentes font une sorte de petit campus dans la cour d'école. Ici, le bâtiment principal de l'école primaire est intact, mais pas question d'y donner les cours. Le tremblement de terre a laissé dans la population des séquelles psychologiques importantes. «Tout le monde a peur du béton, les parents, les enfants, explique le frère Enceau Laguerre, directeur de l'école. Si on veut avoir les enfants ici, il faut écouter les parents.»

Les garçons ne semblent pas s'en formaliser. Sous la tente, en polo blanc et bermuda gris, ils répètent après le professeur pendant que des parents attendent en file pour inscrire ou réinscrire leurs petits.

«Les enfants reviennent progressivement. Sur 502, ils étaient 215 en mars, souligne le directeur. Nous étions une des seules écoles qui fonctionnaient. Mais on ne donnait pas de cours. On offrait du soutien psychologique, on les faisait parler, on faisait beaucoup de jeux en plein air.» Ce n'est que le 12 avril que l'école a repris pour de bon.

Faire mieux

L'UNICEF estime que, du million et demi d'enfants qui ont vu leur scolarité interrompue en janvier, 200 000 seront de retour à l'école à la fin du mois de mai, et plus de 700 000 en septembre. «Ça ne se fait pas en une nuit, concède Edward Carwardine, de l'UNICEF. Il n'y a pas beaucoup d'espaces libres et le ministère de l'Éducation veut rouvrir les écoles à l'endroit où elles se trouvaient. Il faut souvent faire disparaître des montagnes de débris avant d'installer les tentes. Il faut prévoir des latrines, l'approvisionnement en eau potable...»

Les études psychologiques démontrent que la reprise des classes a un effet stabilisateur pour les enfants qui ont subi un choc. C'est une priorité pour le gouvernement haïtien. Mais dans un pays où, avant le séisme, la moitié des enfants d'âge scolaire n'allaient pas à l'école et où les écoles privées dominent, on songe à aller plus loin, à bâtir un véritable réseau d'écoles publiques, accessibles et offrant une éducation de qualité.

«Avec toute l'attention qu'on porte à Haïti maintenant, avec tout l'argent injecté par la communauté internationale, on n'a pas d'excuse. On ne peut pas se contenter de revenir à ce que c'était avant», soutient M. Carwardine.

Le Canada appuie cette démarche. «Un des gros problèmes, c'est qu'Haïti a un des systèmes d'éducation les plus privés du monde, qui ne fonctionne pas du tout, a expliqué la semaine dernière l'ambassadeur du Canada en Haïti, Gilles Rivard. La ministre de la Coopération internationale, Bev Oda, a discuté avec le premier ministre et le président de la façon dont le Canada pourrait aider Haïti à se doter d'un système d'éducation publique digne de ce nom. Nous avons la capacité.» Reste à voir comment cela va se matérialiser.