Rebâtir Haïti: après le tremblement de terre du 12 janvier, le projet est sur toutes les lèvres et pourrait bien devenir le plus vaste chantier de reconstruction de toute l'histoire moderne. Or, plusieurs sociétés québécoises, SNC-Lavalin en tête, joueront un rôle-clé dans cette entreprise titanesque. Après avoir été ébranlées par le séisme, les firmes de génie de chez nous regardent maintenant vers l'avenir. Voici la deuxième partie de notre dossier sur un événement qui soulève à la fois des questions et des défis pour les ingénieurs québécois.

Difficile d'imaginer plus tragique ironie. Le 10 janvier dernier, l'ingénieur québécois Trân Triêu Quan débarque en Haïti pour travailler à la conception d'un nouveau code du bâtiment pour le pays.

 

Deux jours plus tard, l'hôtel Montana où il loge s'effondre. M. Quan n'en est jamais sorti vivant.

M. Quan était ingénieur chez Norbati, firme de génie-conseil de Québec. Avec le géant québécois SNC-Lavalin, Norbati avait remporté un important appel d'offres lancé par le gouvernement haïtien et financé par la Banque mondiale pour instaurer un code du bâtiment en Haïti.

Leur travail a débuté avant le tremblement de terre. Mais depuis le séisme, les deux firmes québécoises se retrouvent au coeur d'une mission particulièrement critique dans un pays dont la capitale et plusieurs autres villes importantes doivent être pratiquement reconstruites à neuf.

Pourquoi un code du bâtiment? Il suffit d'entendre le directeur du bureau haïtien de SNC-Lavalin, Bernard Chancy, parler du contexte dans lequel il travaillait jusqu'à présent pour comprendre.

Absence de références et de normes claires, manque de suivi, de contrôles, de sanctions: à l'écouter, on ne peut s'empêcher de lui poser la question. N'importe qui peut faire n'importe quoi, dans ce pays?

«Je n'aime pas les positions extrémistes, s'empresse de répondre M. Chancy. Mais bon, s'il fallait résumer rapidement, ce serait un peu ça: n'importe qui peut arriver ici et faire n'importe quoi.»

C'est ce que le nouveau code du bâtiment veut changer.

Le tremblement de terre du 12 janvier a cependant bouleversé le plan de match de SNC-Lavalin et Norbati. Pondre un code du bâtiment en bonne et due forme devrait prendre environ huit mois, explique M. Chancy. C'est trop long pour le demi-million de sans-abri qui doivent se reloger le plus rapidement possible.

Guide

SNC-Lavalin a donc décidé de produire un «guide des bonnes pratiques en matière de construction» pour tous ceux qui commencent déjà à reconstruire eux-mêmes leur maison, leur commerce ou divers bâtiments.

Il ne s'agira pas de lois strictes, mais plutôt de conseils et de directives qui peuvent être rédigés plus rapidement. Une première version du document a déjà été présentée au gouvernement haïtien; la version finale est prévue pour la fin avril.

«En Haïti, une grande partie des bâtiments sont construits par des ouvriers plus ou moins expérimentés qui n'agissent pas nécessairement sur la base de plans approuvés par des ingénieurs. Ces gens ne vont pas attendre: ils commencent déjà à reconstruire. Alors il faut sortir rapidement des directives pour dire: ça, ça va tenir. Et ça, ça ne tiendra pas», explique M. Chancy.

SNC-Lavalin publiera aussi un «cahier des exigences minimales», autre étape intermédiaire qui permettra d'orienter la reconstruction avant la publication du code du bâtiment lui-même. SNC croit également être en mesure d'accoucher du document d'ici la fin avril.

Ces étapes supplémentaires entraînent une charge de travail plus importante que prévu pour SNC-Lavalin, dont l'expertise est déjà grandement sollicitée pour évaluer la solidité de plusieurs bâtiments depuis le séisme.

«On a dû faire du recrutement localement, on a dû demander du renfort au bureau du Canada», dit M. Chancy.

L'aspect séisme

Le tremblement de terre viendra-t-il modifier la façon de préparer le code national haïtien?

«Les différents risques dont il fallait tenir compte étaient définis dans l'appel d'offres initial. Oui, les séismes en faisaient partie. Mais c'est sûr qu'après un événement comme celui du 12 janvier, l'aspect séisme, on va regarder ça deux fois», répond Bernard Chancy.

La firme montréalaise d'urbanistes Daniel Arbour et associés sera elle aussi aux premières loges pour la reconstruction d'Haïti. DAA est sur place depuis plusieurs années. C'est elle qui avait entre autres remporté un concours vers le milieu des années 90 pour mener un vaste projet de réfection des infrastructures à Port-au-Prince et en périphérie, chapeauté par la Banque interaméricaine de développement.

Arbour est encore très actif sur place, notamment comme consultant en appui technique et en renforcement institutionnel au ministère haïtien de la Planification et de la Coopération externe.

L'associé responsable d'Haïti chez Arbour, René Hubert, juge qu'une bonne reconstruction passe non seulement par un code du bâtiment solide et crédible, mais également par des exigences beaucoup plus strictes en matière de surveillance des projets de construction.

«Il faudra mettre l'accent sur la supervision, martèle l'urbaniste. Tant dans la qualité de la supervision que celle des firmes qui sont retenues pour le faire.»

Selon plusieurs personnes interviewées dans le cadre de ce reportage, les entreprises de construction sont trop souvent laissées à elles-mêmes, ce qui leur laisse la voie libre à tourner les coins ronds pour économiser temps et argent.

«Une fois que l'on a un bon code du bâtiment et qu'après, on s'assure que l'on a de bonnes firmes de supervision de chantier, on a les conditions gagnantes», dit René Hubert.