Des taches de couleurs vives émaillent les ruines de la cathédrale de la Sainte-Trinité de Port-au-Prince: c'est tout ce qui reste des fresques qui ont fait la réputation de l'art haïtien il y a une soixantaine d'années.

Pour Toni Monnin, née au Texas et devenue galeriste en Haïti, la perte de ces fresques peintes par les plus grands artistes haïtiens de leur génération est le parfait symbole de l'ampleur des destructions culturelles subies par le pays lors du séisme du 12 janvier.

«Il y a eu une explosion artistique unique au monde en Haïti au lendemain de la Seconde Guerre mondiale», explique-t-elle. «C'est un pays de peintres et d'artistes, un phénomène qui n'existe qu'ici, en Haïti».

Le pays peut sans doute s'enorgueillir d'avoir la plus forte densité d'artistes au monde, mais paradoxalement l'ensemble des bâtiments, de l'histoire, du patrimoine culturel d'Haïti est en danger.

«Avec le ministère de la Culture, nous essayons d'attirer l'attention sur la nécessité de protéger le patrimoine, parce qu'une fois qu'il a disparu, c'est trop tard», souligne Teeluck Bhuwanee, qui dirige la mission de l'Unesco en Haïti.

Les objets de la culture taïno, du nom des Indiens qui vivaient sur l'île que se partagent aujourd'hui Haïti et la République dominicaine avant sa découverte par Christophe Colomb en 1492, sont en grande partie intacts: le musée qui les abrite a été construit en sous-sol.

En revanche, beaucoup de sites et d'objets des époques postérieures, relatant l'histoire de l'esclavage et de la révolution, n'ont pas eu cette chance et Teeluck Bhuwanee craint qu'ils ne soient les grands oubliés du plan de reconstruction du gouvernement. Ce plan ne contient «pas un seul dollar pour la renaissance de la culture dans ce pays», dit-il à l'AFP.

«À Port-au-Prince, une trentaine de sites menacés de destruction totale ou de disparition ont été identifiés. Deux ont déjà été rasés». C'est le cas de l'église Saint-Louis Roi de France, dont les gravats ont été évacués par les bulldozers pour faire place à la reconstruction.

Les Haïtiens sont les premiers Noirs à avoir obtenu l'indépendance en 1804, mais des milliers de documents attestant de cette lutte et de son rôle dans l'histoire des droits de l'homme pourraient bien avoir disparu à jamais.

Pour l'instant, des problèmes plus pressants assaillent les Haïtiens: se nourrir, avoir un toit, vivre en sécurité, pouvoir reprendre son travail ou retourner à l'école.

Mais Teeluck Bhuwanee est persuadé que le patrimoine, s'il est correctement mis en valeur, peut contribuer à créer des emplois. «Faisons de la culture la base du développement de ce pays», propose-t-il.

De son côté, Toni Monnin tente d'aider les artistes peintres avec lesquels elle travaille et dont «90% ont perdu leurs maisons, au moins en partie, et des membres de leur famille. Il ne leur reste rien de leurs oeuvres, ils ont tout perdu».

L'art des grands peintres haïtiens, comme le prêtre vaudou Hector Hyppolite ou Préfète Duffaut, l'auteur de certaines fresques de la cathédrale de la Sainte-Trinité et le seul de cette génération d'artistes encore en vie à 87 ans, «est irremplaçable», souligne Toni Monnin, qui refuse pourtant de baisser les bras.

«Je ne sais pas si c'est du ressort de l'Unesco, mais il faudrait se concentrer sur des choses comme la reconstruction de la Sainte-Trinité», dit-elle. «Si l'on ne peut pas retrouver les fragments des fresques, il y a assez de photographies. Quelqu'un peut les repeindre, nous avons assez d'artistes. Non pas copier, mais peindre dans le même esprit. Ce serait un projet fabuleux».