Près d'un mois après le tremblement de terre qui a frappé Haïti, le contraste est saisissant entre les chantiers où les corps sont méticuleusement identifiés par des équipes occidentales et ceux où les opérations sont menées avec les moyens du bord.

Dans la cour du Carribean market, le plus grand supermarché de Port-au-Prince dont les cinq étages se sont écrasés le 12 janvier comme un château de cartes, les mouches collent et l'odeur de mort prend à la gorge.

Des camions à l'arrêt en plein soleil de midi et une trentaine d'ouvriers alentour.

Cinq corps de femmes reposent à même le sol sous un drap blanc. «On n'a pas réussi à retrouver les familles», explique Meir Vaknin, le responsable du déblaiement qui n'a commencé que samedi, soit 25 jours après le séisme. Embauché par le propriétaire de l'endroit, il travaille avec des entreprises dominicaines.

Quelques kilomètres plus loin, à l'hôtel Montana, c'est une tout autre histoire.

Les sept étages de cet établissement de luxe se sont écroulés sur des dizaines de personnes, essentiellement des étrangers. Ici, une liste des disparus a été affichée, les camions entrent et sortent, les pelleteuses creusent. Et pas question de venir déranger la centaine de personnes travaillant chaque jour.

«Ce sont des recherches très méthodiques, il y a des observateurs qui sont à l'affût d'un corps ou de restes» alors que les tracteurs remuent les décombres, «et ils font des signes avec les bras aux conducteurs», explique Dany Johnson, porte-parole de l'armée américaine, qui gère le site avec des équipes française, canadienne et mexicaine.

Ensuite, les cadavres sont transportés au port, à la morgue mobile envoyée par les États-Unis. Ils sont passés au crible par une vingtaine de médecins légistes.

Au Caribbean market, en revanche, l'identification n'est pas simple. Meir Vaknin, le visage ruisselant sous la chaleur, explique, en désignant sa poche arrière: «Pour les hommes, nous avons les portefeuilles. Pour les femmes, c'est difficile, des bijoux, des boucles d'oreille, des chaussures...»

Mais pour Fortunée Luna, 30 ans, dont les deux tantes et la soeur ont péri dans le supermarché, il n'y aucun doute: «Les corps sont déjà enlevés et ils ont disparu». De toute façon, «je n'ai pas d'argent pour faire une cérémonie», soupire cette jeune femme à l'air triste, assise dans la rue, en face des ruines puantes.

Les premiers jours après la catastrophe, dans l'affolement, le gouvernement a fait enlever les corps qui gisaient dans les rues, dans les voitures ou étaient visibles dans les ruines.

À moins que les familles n'aient eu les moyens de les récupérer, ils ont été brûlés ou jetés dans des fosses communes.

«Il n'y a eu aucune identification des corps depuis le début», confirme Lucile Grosjean, porte-parole d'Action contre la faim, qui regrette que de nombreuses familles n'aient pu du coup «enclencher le processus de deuil» et continuent d'espérer retrouver un proche vivant.

Meir Vaknin promet que les corps dégagés du Carribean market seront rendus aux familles. Mais si personne ne s'est présenté d'ici la fin du chantier, il prendra contact avec la mairie pour s'en débarrasser.

Il faudrait des équipements «pour tester l'ADN, voir si ce sont des Noirs ou des Blancs, ou au moins pouvoir déterminer le groupe sanguin», regrette-t-il.

«Au Montana, il y a beaucoup d'étrangers, ils sont sous la pression des ambassades qui veulent retrouver leurs ressortissants», estime-t-il. Il hésite... «Ici, ce sont des gens ordinaires qui ne peuvent se plaindre à personne. Pour autant que je sache, il n'y a pas de gouvernement haïtien actuellement».