Des centaines de personnes blessées lors du séisme et devant subir une amputation repartent des hôpitaux de Port-au-Prince sans être opérées. Car au grand dam des équipes médicales, ces patients préfèrent mourir plutôt que de devenir un boulet pour leur famille.

Samedi matin, à l'hôpital de Bel-Air, la coordonnatrice de Médecins sans frontières, Aurélie Ponthieu, nous fait visiter son établissement de 48 lits, qui soigne des blessés du tremblement de terre. L'infirmier Christian arrive en courant.

 

«On a une psy aujourd'hui?»

«Non, répond Mme Ponthieu. C'est urgent?»

«J'en ai besoin. Je suis avec une famille dont le père doit se faire amputer. Ils ne veulent pas. Il va partir...» souffle l'infirmier.

Ce cas n'est pas anecdotique. Mme Ponthieu reconnaît que plusieurs familles haïtiennes refusent de voir un de leur proche être amputé. «Ils repartent sans être opérés. Ceux qui font ça, on sait qu'ils ne pourront pas survivre...» affirme la coordonnatrice.

Non loin de là, dans Cité-Soleil, l'hôpital orthopédique de Chauscal accueille 90 patients. Tous sont couchés sous des tentes aménagées dans la cour de l'hôpital pour accueillir les victimes traumatisées qui refusent de se faire soigner à l'intérieur.

Étendu sur son lit, Augustin Peter Shawn a une jambe amputée au genou. Il dit «garder le moral malgré tout». Le jour du séisme, un mur de son université s'est effondré sur lui. «On m'a retiré huit heures plus tard. Quand je suis arrivé ici, il n'y avait plus de vascularisation dans ma jambe. Ils ont pu passer une tige de fer dedans sans que je ne sente rien. Ils ont dû la couper», raconte le jeune homme.

Augustin souhaite obtenir une prothèse de qualité. Mais il sait que l'avenir sera difficile pour lui. «Avec les deux jambes, je ne pouvais déjà pas vivre bien ici. Avec une en moins, qu'est-ce que ce sera?» fait-il remarquer.

Dans la tente d'Augustin, une vingtaine d'autres patients présentent des blessures orthopédiques majeures. Un orthopédiste est au chevet d'une femme au bras cassé et à la jambe droite amputée, qui hurle de douleur. Il tente de lire des radiographies à travers le soleil, mais en vain.

La directrice de l'hôpital de Chauscal, Anne Khoudiacoff, estime avoir réalisé environ 50 amputations au cours des derniers jours. Elle confirme que certains patients repartent sans être opérés. «Certaines familles ont tout perdu. Alors pour eux, voir un de leurs proches amputés, c'est dur. Ils savent qu'ils ne seront pas capables de s'en occuper correctement dans les conditions ici», dit-elle.

Le psychologue Renaud Sander, dont la mission est de rassurer les patients devant se faire amputer, ajoute que plusieurs personnes craignent de ne plus jamais marcher. «Dans leur tête, amputation rime avec: je ne marche plus. Et ils savent que leur espérance de vie s'ils restent couchés par terre à Port-au-Prince chute dramatiquement à cause de l'insalubrité ici», note M. Sander.

Le psychologue craint aussi que plusieurs enfants aujourd'hui amputés ne soient abandonnés par leur famille. «Ils étaient déjà à haut risque d'abandon. Il va falloir surveiller la situation de près.»