Il y a deux jours, une femme blessée a été conduite à la clinique de l'Équipe d'assistance médicale canadienne de Léogâne, à une trentaine de kilomètres de Port-au-Prince. Elle avait un fémur cassé et une immense entaille à la cuisse.

Deux semaines après la puissante secousse tellurique qui a détruit 90% des bâtiments de Léogâne, cette rescapée n'avait pas encore reçu la moindre assistance médicale. Sa plaie était infectée. Et la chirurgienne Dona Smith a dû retirer un à un les éclats de ciment qui s'étaient logés dans la chair à vif.

Dona Smith pratique ce qu'elle décrit comme de la médecine de guerre. Une civière placée sur des blocs de béton lui sert de table opératoire. La clinique ne possède aucun équipement de radiologie. Comment fait-elle ses diagnostics? «On essaie de deviner.»

La clinique manque de tout: sédatifs, antibiotiques. «Tous les jours, on est sur le point d'épuiser nos ressources», dit la chirurgienne de Vancouver. Il y a quelques jours, l'anesthésiste de la clinique est tombé malade. Depuis, Dona Smith se contente d'administrer un anesthésique local.

Cinq cliniques comme celle-ci apportent les premiers soins aux blessés de Léogâne, la ville la plus ravagée par le séisme. Malgré leurs efforts, certains patients n'ont pas encore vu de médecin. «Nous pensions venir à bout des traumatismes aigus en une semaine. Mais ça n'a pas été le cas», dit Bill Coltazet, un des responsables de la clinique canadienne.

Celle-ci est logée en plein air, entre deux écoles effondrées. Hier, une longue file de gens avec des plaies à la tête ou un pansement au bras attendaient devant la guérite. Le soleil tapait fort et la file n'avançait pas.

«Nous pouvons recevoir 250 personnes par jour, mais c'est une ville de 130 000 habitants», dit Dona Smith. Et les blessés affluent aussi des petites communes voisines, éparpillées entre des champs de canne à sucre.

Sur un terrain vague à l'entrée de Léogâne, des militaires canadiens attendaient hier l'hélicoptère qui allait évacuer une patiente maintenue en vie de justesse au cours de la nuit. Actuellement, il n'y a pas un seul hôpital à Léogâne. Que des cliniques qui envoient leurs patients dans les hôpitaux encombrés de Port-au-Prince.

La situation devrait s'améliorer ces jours-ci grâce à un hôpital mobile monté par des militaires canadiens, sur un terrain loué à un habitant de Léogâne. Avec sa centaine de lits et ses deux blocs

opératoires, l'hôpital permettra de soigner plus de gens plus rapidement. Et de venir à bout de la phase aiguë de la crise médicale.

Toute la ville dehors

Quand la terre a tremblé, le 12 janvier, l'épicentre du séisme se trouvait à Léogâne. À l'exception d'un gymnase et d'une école d'infirmières, aucun bâtiment n'est intact.

Marcher dans cette ville, c'est comme déambuler dans Varsovie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Où que l'on regarde, il n'y a que gravats et ruines. Personne, ici, ne passe la nuit entre quatre murs. Toute la ville dort dans la rue.

Dans les jours qui ont suivi le séisme, l'attention du monde était tournée vers Port-au-Prince, et Léogâne est restée quelques jours sans aucun secours. «Quand je suis arrivé ici, toute la ville sentait la mort, mais maintenant, la vie continue», dit David Lacombe, soldat de Valcartier qui s'apprêtait hier à sécuriser une zone de distribution alimentaire, dans le camp de déplacés adjacent à la clinique canadienne.

La vie continue, en effet. Dans un camp, des garçons jouent au soccer. Sur une place, des femmes vendent du pain et des mandarines. Des hommes armés de pelles nettoient les décombres d'une école effondrée. Dans la cour de la mairie, des employés de la ville lisent les notes préparatoires de leur réunion. «Nous venons ici tous les jours, il faut bien fonctionner», dit Patrick Lafleur, responsable de l'aménagement du territoire.

C'est la mairie qui organise le nettoyage de la ville. «Mais nous n'avons aucun équipement, seulement quelques pelles et des bras», déplore Patrick Lafleur. Pour l'instant, la priorité est de soigner les blessés et de nourrir les sans-abri.

Léogâne a été rasée deux fois au cours de son histoire. Une fois par un tremblement de terre, au XVIIIe siècle. Puis par un incendie, au siècle suivant. Patrick Lafleur voit la troisième reconstruction comme une tâche quasi impossible. «Nous n'avons aucune ressource, dit-il, avant de demander: Et vous, qu'allez-vous faire pour nous aider?»