Dix jours après le séisme, c'est la cohue à la frontière entre Haïti et la République dominicaine. Certains sinistrés veulent refaire leur vie dans le pays voisin. D'autres vont y chercher des soins. Plusieurs vont faire le plein de provisions. Tous convoitent l'eldorado dominicain.

«C'est difficile de laisser Haïti derrière, mais je n'ai plus rien ici. J'ai décidé de partir, au moins pour quelques mois.»

 

Flanqué de sa fille et son fils, Chérubin vient de débarquer à Malpasse, ville frontière entre Haïti et la République dominicaine. Il transporte deux sacs en bandoulières. Comme des centaines d'autres Haïtiens, Chérubin et sa famille veulent tourner le dos à la catastrophe et tenter leur chance en République dominicaine.

Ou au moins tenter de le faire. Règle générale, les Haïtiens doivent avoir un passeport et un visa pour fouler le sol dominicain. Mais compte tenu de la situation d'urgence, plusieurs espèrent trouver un moyen de se faufiler de l'autre côté.

C'est l'objectif de Josette Romain, qui se met à pleurer dès qu'elle nous aperçoit. «Pouvez vous m'aider? Je n'ai pas d'argent. Je n'ai pas de passeport. Je veux aller en République dominicaine .J'avais trois enfants mais ils sont tous morts. Vous pouvez m'aider?», supplie cette femme, qui a quitté la capitale le matin même.

La cohue qui règne à la frontière détonne d'avec le calme observé sur la route pratiquement qui mène de Port-au-Prince à Malpasse. Un voyage d'environ deux heures, au coeur d'un paysage grandiose de montagnes, de champs et de lacs. À une centaine de mètres de la frontière, la quiétude s'arrête net. Les voitures, tap-tap, motos, camions et piétons forment un bouchon qui s'étire sur une centaine de mètres sur la route étroite et serpentine.

Leurs bagages en mains ou sur la tête, ces sinistrés iront grossir la foule massée devant l'immense clôture de fer et de barbelés qui sépare les deux pays.

Les policiers Haïtiens d'un côté et les militaires dominicains de l'autre, tous armés, sont sur les dents. La tension est forte et ça joue du coude pour s'approcher de la terre promise.

Mais ce n'est pas tout le monde qui souhaite fuir Haïti. Du moins en apparence. Plusieurs Haïtiens disent ne vouloir que profiter du marché de Malpasse, qui chevauche les deux pays. Judith Vixama est de ceux là. «Je suis venu acheter des marchandises comme du spaghetti, du jus, du salami. Il y a de meilleurs prix et de meilleurs produits de l'autre côté. Vous pouvez m'aider à passer?», demande la femme.

Le plein de provision fait, certains iront écouler leur marchandise à Port-au-Prince, où l'on manque de tout.

Mais selon un policier, «aller au marché» ne serait qu'un prétexte pour fuir un pays dévasté.

«Ils disent qu'ils viennent acheter de la marchandise, mais ce n'est pas vrai», croit Berlin Prédélus. «Ils essaient d'entrer illégalement parce qu'ils n'ont pas de passeport. Les Haïtiens n'entrent pas en République dominicaine s'ils n'ont pas de passeport ni de visa», prévient le policier, vêtu d'un jeans et d'un t-shirt.

«Plusieurs ont tout perdu quand leur maison s'est effondrée. Alors ils n'ont pas de passeport. C'est comme moi. Je n'ai même plus d'uniforme!»

Un autre policier évalue qu'entre 1000 et 2000 Haïtiens tentent d'entrer en République dominicaine chaque jour.

«La priorité en ce moment est aux blessés qui veulent aller se faire soigner à Jimani (voir autre texte). Certains tentent de traverser illégalement en disant qu'ils accompagnent des blessés», constate Cajustu.