Sur ses photos de mariage, Thamar Pierre est radieuse. Robe de satin, long collier et tiare de brillants. Elle regarde son mari, le beau Duval. Ces photos datent du 25 décembre dernier. Jamais la jeune femme n'aurait pu s'imaginer que, trois semaines plus tard, elle remplirait en pleurant des formulaires de parrainage pour son mari, demeuré à Port-au-Prince faute d'avoir la nationalité canadienne.

Elle n'oubliera jamais cet instant qui lui a semblé éternel devant les grilles de l'ambassade du Canada à Port-au-Prince. Les deux jeunes mariés avaient échappé de justesse au tremblement de terre. Partis de la banlieue de Carrefour, ils avaient réussi avec beaucoup de peine à se rendre au centre-ville. Ils étaient sauvés.

 

Mais devant cette grille, à l'ambassade, on a posé la question fatidique à Thamar. «Votre mari est-il canadien?» Elle a dû répondre non.

Non, Duval n'est pas canadien. Il est haïtien. Les deux tourtereaux se sont rencontrés par amis interposés. Ils se sont fréquentés pendant des mois. Ils se sont mariés. Duval voulait immigrer, venir vivre au Canada avec Thamar. Mais le tremblement de terre a bousculé leurs vies.

«J'ai essayé de leur expliquer. On venait de se marier!»

À la grille de l'ambassade, le verdict est tombé. Thamar pouvait entrer. Mais pas Duval. Thamar a donc dû faire un choix. Rester ou partir. Son mari ou la sécurité. «Moi, je voulais rester. Je voulais être à côté de lui. Mon mari m'a raisonnée. Il m'a dit: «Vas-y.» Je comprends qu'ils pensent d'abord aux ressortissants. Mais c'est mon mari!»

Thamar a serré Duval dans ses bras. Et elle a passé la grille.

Depuis, elle ne peut plus s'arrêter de pleurer. «Je ne peux même plus l'appeler. C'est extrêmement déchirant.»

C'est manifeste, la jeune femme est encore en état de choc. Le regard dans le vague, elle ne cesse de penser à son mari, retourné devant la maison de Carrefour qui appartient à ses parents. Là-bas, il n'y a pas de nourriture. Thamar et sa famille ont dû fouiller dans les détritus pour manger. Et, juste à côté de la maison, il y a un cimetière où les cadavres s'amoncellent.

«Les gens ont commencé à venir jeter des cadavres le mercredi. Puis, ce sont des camions qui sont venus. De gros camions. Qui jetaient les morts. Ça puait. Si je trouvais un autre mot qu'épouvantable, ce serait ça.»

Thamar et sa belle-famille ont essayé de s'interposer. De dire aux camions d'aller ailleurs. «Les camionneurs ont dit: si vous ne nous laissez pas passer, on va jeter les cadavres dans votre source d'eau.» Les corps ont continué de s'amonceler. L'odeur est devenue atroce.

Le jeudi, Thamar s'est rendue à pied dans un café internet et a réussi à communiquer avec sa mère, restée à Montréal. La vieille dame lui a dit d'aller à l'ambassade. Mais Thamar et Duval n'avaient pas de moyen de transport. Il n'y a pas d'essence. «Je devais y aller à pied. Mais c'est très, très loin. J'ai dit à mon mari: je ne pourrai pas.»

Duval a trouvé une moto. Il a payé le conducteur pour qu'il les conduise à l'ambassade. À la grille, Thamar a laissé Duval derrière.

Elle est arrivée à Montréal en sandales, emmitouflée dans une couverture. Elle a dit aux gens de la Croix-Rouge qu'elle allait bien. Mais lundi, le barrage a cédé. «Ça a éclaté. J'étais faible, je me sentais seule. Je pleurais.»

Hier, comme des dizaines d'autres Haïtiens de la diaspora, elle s'est rendue à la Maison d'Haïti pour remplir des papiers de parrainage pour son mari. Elle espère que les mesures annoncées par le gouvernement fédéral accéléreront le traitement des demandes. Le délai normal oscille entre deux et huit ans.

Assise sur une petite chaise droite, dans un couloir bordé de casiers, Thamar Pierre regarde ses photos de mariage en pleurant. Elle est hantée par les mêmes questions. «Comment il va? Est-ce qu'il mange? Est-ce qu'il est malade?»