Fritznel Harris, jeune musicien hip-hop, est couché sur un matelas du seul hôpital public de Cité-Soleil, la jambe gauche enveloppée d'un pansement. Il n'a pas été blessé dans le tremblement de terre. Il est victime de la violence qui grimpe dans ce bidonville coincé entre la mer et le centre-ville de Port-au-Prince.

Dimanche dernier, Fritznel Harris circulait à moto quand de jeunes gangsters ont braqué leur arme à feu sur lui. Il a dû leur donner sa moto et tout son argent. Les voleurs lui ont tiré une balle dans la jambe. Ils ont tout de même été assez «gentils» pour lui procurer un fauteuil roulant afin qu'il puisse se rendre à l'hôpital.

«Je sais que c'étaient d'ex-prisonniers. Je les ai reconnus. C'est peut-être pour ça qu'ils m'ont donné la chaise», dit le jeune homme, qui jure qu'il va se venger.

Comme Fritznel Harris, plusieurs habitants du bidonville sont convaincus que les gangsters évadés de la prison nationale sont de retour dans leur ancien fief. Quelque 4000 détenus se sont enfuis lors de l'effondrement de l'établissement.

Environ 300 000 personnes s'entassent dans ce bidonville, où les gangs se sont livré une guerre sans merci en 2004 après le départ du président Aristide. Il aura fallu trois ans avant que les Casques bleus de l'ONU arrêtent ou tuent dans des combats de rue les chefs des principaux gangs.

Et aujourd'hui, certains seraient de retour.

L'inspecteur Rosemond Aristide, responsable du commissariat de police du bidonville, est sur les dents. Deux revolvers sont posés sur sa table. «Depuis que les prisonniers se sont évadés, on m'a dit qu'ils voulaient me tuer. Qu'ils viennent. Ils ne reprendront pas Cité-Soleil. Jamais», s'emporte-t-il.

L'un des murs surmontés de barbelés du commissariat s'est effondré. N'importe qui peut y entrer. Le policier tient le fort nuit et jour. Il faut dire que cela l'aide à faire son deuil : sa femme et son fils sont morts durant le séisme.

Ses agents ont arrêté une quarantaine de pilleurs en une semaine. Ils les ont entassés dans une minuscule cellule du commissariat qui dégage une forte odeur d'urine. «Le ministère de la Justice s'est effondré. Il n'y a plus de prison. Je n'ai pas le choix de les libérer dans deux ou trois jours, le temps qu'ils aient leur leçon», dit-il.

Des soldats brésiliens de l'ONU aident la police à assurer la sécurité du bidonville. Leur priorité : encadrer la distribution de nourriture, et non rechercher des criminels évadés.

L'insécurité est grande. «Les gangs sont de retour. On ne sait pas quand ça va éclater», dit un sinistré, Ceradieu Deaurient. Plus loin, dans Soleil 19, des jeunes racontent que des gang-sters du quartier voisin, Petit-Haïti, viennent les provoquer la nuit, armés de machettes. «On ne peut pas dormir. Il faut se protéger», lance un autre sinistré, Carlo Lewis.

Lors de notre passage dans le bidonville, de jeunes hommes portant des lunettes fumées, des bijoux rutilants et des vêtements de rappeur nous ont interpellés plusieurs fois. Après que nous nous sommes présentés, ils ont continué de surveiller de près nos faits et gestes. La veille, un homme avait braqué une arme à feu sur un photographe étranger pour lui prendre son appareil photo. «Ceux qui nous menacent, on les tue à la machette», insiste Cary Avril, un jeune du quartier Petit-Haïti, le leader du groupe.

Le seul hôpital public du bidonville, Choscal, voit arriver un nouveau type de patients depuis deux jours : des blessés par balle ou par arme blanche. «Je ne sais pas si c'est lié aux guerres de gangs, dit François Dumont, de Médecins sans frontières. Nous, on soigne tout le monde.» La majorité des patients sont toutefois des victimes du tremblement de terre. Les médecins doivent parfois faire des amputations sur place. Deux camions 10 roues sont venus récupérer des corps à Choscal depuis une semaine. Les deux ont été remplis à ras bord, dit la Dre Marie-Gessy Richard.

Cité-Soleil a été moins touché par le séisme que Pétionville, mais les traces de destruction sont quand même évidentes. La principale école du bidonville s'est effondrée comme un château de cartes. Les «nantis» vivent dans de petites maisons de béton qui ont moins bien résisté que les cabanes de tôle.

À l'entrée, le marché est beaucoup moins bondé qu'à l'habitude. Moins de marchands. Moins de clients. «Les gens n'ont pas d'argent pour acheter», se plaint Rosy, une vendeuse assise devant son seau de haricots noirs.

Des vivres ont été parachutés dans le bidonville au cours des derniers jours, selon l'ONU, qui admet que ce n'est pas la meilleure méthode. «Nous craignions réellement des émeutes partout dans le quartier, indique Kim Bolduc, montréalaise et représentante spéciale adjointe du Secrétaire général de l'ONU en Haïti. Mais cette manière de faire pose de sérieux problèmes de sécurité parce que les gens se ruent pour en avoir, des enfants peuvent être blessés.»

De son côté, le chef par intérim de la MINUSTAH, Edmond Mulet, nie que les gangs soient un problème. «Nous ne voyons pas de gangs rôder et attaquer la ville comme certains médias l'ont dit.»

La population de Cité-Soleil, elle, les voit, ces gangs armés. Un cauchemar pas si lointain qui refait surface.

- Avec la collaboration d'Hugo De Grandpré.