Mardi, il y a eu trois miracles dans la vie de Bernard Dupras, consultant en éducation qui travaille depuis deux ans en Haïti. Un, il a décidé de rester au travail un peu plus tard. Deux, il s'est arrêté faire des courses au marché. Trois, il a vu sa bonne qui se rendait chez lui à pied. Il a stoppé et l'a fait monter.

En arrivant devant l'immeuble qui abrite son appartement, rue Debussy, à Port-au-Prince, il est descendu de voiture. Il a senti le sol trembler sous ses pieds. Une fissure longue de près d'un mètre s'est creusée devant lui. «J'ai pensé: voilà, c'est la fin du monde.»«Quand ça s'est arrêté, tout mon immeuble était rasé. Une minute de plus, et j'y passais. Et si j'avais travaillé 10 minutes de plus, je serait mort dans l'écrasement du marché où j'ai fait mes courses. Il n'en reste plus rien.»

Bernard Dupras a passé la nuit là, au milieu des gravats, avec son sac d'ordinateur comme oreiller. Le lendemain, il a fait 10 km à pied pour se rendre à l'ambassade canadienne. «Il y avait un calme étonnant, presque surnaturel. J'avais l'impression de marcher dans une ville de zombies.»

Il a fait partie du premier contingent de Canadiens évacués d'Haïti. Le groupe a transité par la République dominicaine. C'est là, sous les cocotiers et près des vacanciers qui prennent du bon temps, que Bernard Dupras a craqué. «Je me suis effondré.»

Une bonne bière froide

Aussi curieux que cela puisse paraître, c'est l'envie d'une bonne bière froide qui a sauvé la vie de Martin Turgeon, consultant en informatique de 42 ans.

Il est arrivé mardi après-midi à Port-au-Prince. Il s'est rendu au bar extérieur de l'hôtel Montana. C'est alors que le séisme est survenu. Il a eu le réflexe de faire cinq pas en arrière. La dalle de béton qui soutenait le toit du restaurant s'est effondrée à moins d'un mètre de lui.

«Quinze secondes de plus et j'y restais», dit-il. Il a fallu une dizaine de minutes à la poussière pour se dissiper et révéler un spectacle d'apocalypse. Sa première pensée est allé à son collègue, Alexandre Bitton, probablement pris dans les décombres de l'hôtel. À ce jour, il ne sait pas ce qu'il est advenu du jeune homme de 36 ans.

«À ce moment, j'ai eu le deuxième bon réflexe de ma journée: j'ai pris mon téléphone et j'ai appelé ma femme.» Il lui a aussi envoyé un message texte: «Je crois qu'à partir de maintenant, ça va être une question de survie.»

Les heures qui ont suivi ont effectivement été une histoire de survie. À la nuit tombée il faisait 12°. Il a trouvé une couverture dans une hutte à massage, près de la piscine. Dans les cuisines de l'hôtel, on a récupéré des bouteilles d'eau. Martin Turgeon s'est composé un «sac de survie.» Il avait son ordinateur, son téléphone, une couverture, deux bouteilles d'eau et un livre de contes haïtiens. «C'était mon trésor pour les prochains jours.»

«Personne n'a dormi, cette nuit-là. Il y avait des secousses aux 15 minutes. Chaque fois, il y avait une vague de panique dans la ville. On entendait les gens crier, partout. Et quand ça ne criait pas, ça chantait, ça priait. Des milliers de personnes en même temps», raconte-t-il.

Au petit matin, on a repéré, dans un immeuble voisin, une femme vivante, prisonnière sous des tonnes de béton. Un Canadien est descendu sous les décombres. «Il est resté quatre heures là-dessous. Il a levé des dalles de béton, en a cassé d'autres. Il a réussi à sortir la dame. Elle était restée 24 heures là-dessous.»

Soigner des crânes défoncés

Richard Mimeau, qui venait donner de la formation au personnel des partis politiques haïtiens, a eu la vie sauve grâce à son chauffeur. «Les débris tombaient de partout. Les murs s'écroulaient. Il a réussi à éviter tout cela.» Richard Mimeau est retourné à son hôtel, où des médecins avaient organisé un hôpital de fortune. Pendant 12 heures, l'un des conseillers du maire Gérald Tremblay s'est transformé en infirmier auxiliaire.

«On a cassé des chaises pour faire des attelles. On a déchiré des draps pour les pansements. On désinfectait les plaies avec l'eau de la piscine.» Une jeune fille de 15 ans est morte dans ses bras. «Elle avait le crâne défoncé.»

Richard Mimeau n'oubliera jamais les cris qui ont secoué Port-au-Prince après le séisme. «On entendait les cris dans toute la ville. Les bruits de pioche pour sauver les gens. On entendait ça à des kilomètres.»

Le lendemain matin, avec un compatriote canadien, il s'est résigné à partir. Il leur a fallu une heure et demie en voiture pour gagner l'ambassade. «On a dû sortir de l'auto pour déplacer les cadavres. Des membres pendaient des décombres. Parfois, ils agitaient la main pour dire: je suis vivant! Et on ne pouvait même pas leur donner une bouteille d'eau, on n'en avait pas!»