Dans le centre de Port-au-Prince, à quelques mètres du palais présidentiel, un homme gémit sous les décombres de la direction des impôts. Il remue la tête de douleur, ses jambes sont coincées. Ses collègues s'attaquent au burin à la dalle de béton armé qui l'emprisonne.

Juché au sommet d'une montagne de blocs de ciment, de câbles et de restes de bureaux, l'un de ses collègues pose une planche en bois sur son visage pour le protéger des pierres qui sautent avec les coups qui fendent le béton. Sous un soleil de plomb, les hommes se relaient pour donner ces coups de masse salvateurs qui claquent sur le burin. Un autre homme enlève à main nu les pierres qui s'entassent sur le corps du survivant qui porte un foulard couleur peau de léopard sur la tête.

Après la masse, cinq employés des impôts empoignent un énorme sécateur pour couper l'armature en fer de la dalle de béton qui recouvre le survivant. Mais derrière, une énorme poutre en ciment apparaît. Il faudra sans doute plusieurs heures et d'autres outils pour finalement le dégager.

Deux jours après le tremblement de terre qui a presque totalement rasé le centre de Port-au-Prince, dans le quartier des ministères, les Haïtiens étaient toujours seuls jeudi pour venir en aide aux survivants. Aucun sauveteur professionnel n'est visible et les moyens manquent pour déblayer les gravats.

«Je n'arrive pas à comprendre ce qu'ils font, où ils vont» remarque Jean-Baptiste Lafontin Wilfried en regardant les avions cargo des garde-côtes américains qui fendent le ciel.

«On entend à la radio que des équipes de sauvetage arrivent de l'extérieur mais rien ne vient. Nous n'avons que nos doigts pour aller chercher les survivants», dit l'inspecteur fiscal, debout sur les gravats, quelques secondes après avoir identifié un nouveau survivant, «l'ingénieur Elie».

Alors, les sauveteurs d'un jour font avec les moyens du bord: des gants en latex bleu, une scie, des masses et une pelleteuse trop grande qui sera vite abandonnée. Les ordres contradictoires fusent de partout. Les hommes se crient dessus sous le regard fataliste des anciens assis au loin.

Des «mémos» de la direction générale des impôts portent la trace des opérations de recouvrement fiscal sur lesquelles les victimes travaillaient quand le séisme a secoué la terre mardi. Un fonctionnaire dresse la liste de la dizaine de ses collègues qui sont morts dans le tremblement de terre.

À quelques mètres de là, aux abords du palais présidentiel qui s'est écroulé, les mêmes scènes se répètent. Sur les débris du palais de justice, des hommes s'affairent pour délivrer un survivant. À côté des débris du ministère des Finances, les élèves d'une école de communication dégagent un cadavre.

Devant le palais présidentiel, des milliers d'Haïtiens sont couchés dehors. Ils côtoient les cadavres qui pourrissent sous la chaleur. «À part des friandises, on a rien à manger. Rien à boire. Et ma maison est brisée», dit Jean-René Guillaume, le père de trois enfants complètement dépourvu.